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– Jamais, monsieur le gouverneur, rĂ©pondit le geĂŽlier, jamais, au grand jamais ! au contraire : autrefois mĂȘme il m’amusait fort en me racontant des histoires ; un jour que ma femme Ă©tait malade il m’a mĂȘme donnĂ© une recette qui l’a guĂ©rie.

– Ah ! ah ! fit le mĂ©decin, j’ignorais que j’eusse affaire Ă  un collĂšgue ; j’espĂšre, monsieur le gouverneur, ajouta-t-il en riant, que vous le traiterez en consĂ©quence.

– Oui, oui, soyez tranquille, il sera dĂ©cemment enseveli dans le sac le plus neuf qu’on pourra trouver ; ĂȘtes-vous content ?

– Devons-nous accomplir cette derniĂšre formalitĂ© devant vous, monsieur ? demanda un guichetier.

– Sans doute, mais qu’on se hñte, je ne puis 475

rester dans cette chambre toute la journée »

De nouvelles allĂ©es et venues se firent entendre ; un instant aprĂšs, un bruit de toile froissĂ©e parvint aux oreilles de DantĂšs, le lit cria sur ses ressorts, un pas alourdi comme celui d’un homme qui soulĂšve un fardeau s’appesantit sur la dalle, puis le lit cria de nouveau sous le poids qu’on lui rendait.

« À ce soir, dit le gouverneur.

– Y aura-t-il une messe ? demanda un des officiers.

– Impossible, rĂ©pondit le gouverneur ; le chapelain du chĂąteau est venu me demander hier un congĂ© pour faire un petit voyage de huit jours Ă  HyĂšres, je lui ai rĂ©pondu de tous mes prisonniers pendant tout ce temps-lĂ  ; le pauvre abbĂ© n’avait qu’à ne pas tant se presser, et il aurait eu son requiem.

– Bah ! bah ! dit le mĂ©decin avec l’impiĂ©tĂ© familiĂšre aux gens de sa profession, il est homme d’Église : Dieu aura Ă©gard Ă  l’état, et ne donnera pas Ă  l’enfer le mĂ©chant plaisir de lui envoyer un 476

prĂȘtre. »

Un Ă©clat de rire suivit cette mauvaise plaisanterie.

Pendant ce temps, l’opĂ©ration de l’ensevelissement se poursuivait.

« À ce soir ! dit le gouverneur lorsqu’elle fut finie.

– À quelle heure ? demanda le guichetier.

– Mais vers dix ou onze heures.

– Veillera-t-on le mort ?

– Pour quoi faire ? On fermera le cachot comme s’il Ă©tait vivant, voilĂ  tout. »

Alors les pas s’éloignĂšrent, les voix allĂšrent s’affaiblissant, le bruit de la porte avec sa serrure criarde et ses verrous grinçants se fit entendre, un silence plus morne que celui de la solitude, le silence de la mort, envahit tout, jusqu’à l’ñme glacĂ©e du jeune homme.

Alors il souleva lentement la dalle avec sa tĂȘte, et jeta un regard investigateur dans la chambre.

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La chambre Ă©tait vide : DantĂšs sortit de la galerie.

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20

Le cimetiùre du chñteau d’If

Sur le lit, couchĂ© dans le sens de la longueur, et faiblement Ă©clairĂ© par un jour brumeux qui pĂ©nĂ©trait Ă  travers la fenĂȘtre, on voyait un sac de toile grossiĂšre, sous les larges plis duquel se dessinait confusĂ©ment une forme longue et raide : c’était le dernier linceul de Faria, ce linceul qui, au dire des guichetiers, coĂ»tait si peu cher. Ainsi, tout Ă©tait fini. Une sĂ©paration matĂ©rielle existait dĂ©jĂ  entre DantĂšs et son vieil ami, il ne pouvait plus voir ses yeux qui Ă©taient restĂ©s ouverts comme pour regarder au-delĂ  de la mort, il ne pouvait plus serrer cette main industrieuse qui avait soulevĂ© pour lui le voile qui couvrait les choses cachĂ©es. Faria, l’utile, le bon compagnon auquel il s’était habituĂ© avec tant de force, n’existait plus que dans son souvenir. Alors il 479

s’assit au chevet de ce lit terrible, et se plongea dans une sombre et amĂšre mĂ©lancolie.

Seul ! il était redevenu seul ! il était retombé dans le silence, il se retrouvait en face du néant !

Seul, plus mĂȘme la vue, plus mĂȘme la voix du seul ĂȘtre humain qui l’attachait encore Ă  la terre !

Ne valait-il pas mieux comme Faria, s’en aller demander Ă  Dieu l’énigme de la vie, au risque de passer par la porte lugubre des souffrances !

L’idĂ©e du suicide, chassĂ©e par son ami, Ă©cartĂ©e par sa prĂ©sence, revint alors se dresser comme un fantĂŽme prĂšs du cadavre de Faria.

« Si je pouvais mourir, dit-il, j’irais oĂč il va, et je le retrouverais certainement. Mais comment mourir ? C’est bien facile, ajouta-t-il en riant ; je vais rester ici, je me jetterai sur le premier qui va entrer, je l’étranglerai et l’on me guillotinera. »

Mais, comme il arrive que, dans les grandes douleurs comme dans les grandes tempĂȘtes, l’abĂźme se trouve entre deux cimes de flots, DantĂšs recula Ă  l’idĂ©e de cette mort infamante, et passa prĂ©cipitamment de ce dĂ©sespoir Ă  une soif 480

ardente de vie et de liberté.

« Mourir ! oh ! non, s’écria-t-il, ce n’est pas la peine d’avoir tant vĂ©cu, d’avoir tant souffert, pour mourir maintenant ! Mourir, c’était bon quand j’en avais pris la rĂ©solution, autrefois, il y a des annĂ©es ; mais maintenant ce serait vĂ©ritablement trop aider Ă  ma misĂ©rable destinĂ©e.

Non, je veux vivre, je veux lutter jusqu’au bout ; non, je veux reconquĂ©rir ce bonheur qu’on m’a enlevĂ© ! Avant que je meure, j’oubliais que j’ai mes bourreaux Ă  punir, et peut-ĂȘtre bien aussi, qui sait ? quelques amis Ă  rĂ©compenser. Mais Ă  prĂ©sent on va m’oublier ici, et je ne sortirai de mon cachot que comme Faria. »

Mais Ă  cette parole, Edmond resta immobile, les yeux fixes, comme un homme frappĂ© d’une idĂ©e subite, mais que cette idĂ©e Ă©pouvante ; tout Ă  coup il se leva, porta la main Ă  son front comme s’il avait le vertige, fit deux ou trois tours dans la chambre et revint s’arrĂȘter devant le lit...

« Oh ! oh ! murmura-t-il, qui m’envoie cette pensĂ©e ? est-ce vous, mon Dieu ? Puisqu’il n’y a que les morts qui sortent librement d’ici, prenons 481

la place des morts. »

Et sans perdre le temps de revenir sur cette dĂ©cision, comme pour ne pas donner Ă  la pensĂ©e le temps de dĂ©truire cette rĂ©solution dĂ©sespĂ©rĂ©e, il se pencha vers le sac hideux, l’ouvrit avec le couteau que Faria avait fait, retira le cadavre du sac, l’emporta chez lui, le coucha dans son lit, le coiffa du lambeau de linge dont il avait l’habitude de se coiffer lui-mĂȘme, le couvrit de sa couverture, baisa une derniĂšre fois ce front glacĂ©, essaya de refermer ces yeux rebelles, qui continuaient de rester ouverts, effrayants par l’absence de la pensĂ©e, tourna la tĂȘte le long du mur afin que le geĂŽlier, en apportant son repas du soir, crĂ»t qu’il Ă©tait couchĂ©, comme c’était souvent son habitude, rentra dans la galerie, tira le lit contre la muraille, rentra dans l’autre chambre, prit dans l’armoire l’aiguille, le fil, jeta ses haillons pour qu’on sentĂźt bien sous la toile les chairs nues, se glissa dans le sac Ă©ventrĂ©, se plaça dans la situation oĂč Ă©tait le cadavre, et referma la couture en dedans.

On aurait pu entendre battre son cƓur si par 482

malheur on fût entré en ce moment.

DantĂšs aurait bien pu attendre aprĂšs la visite du soir, mais il avait peur que d’ici lĂ  le gouverneur ne changeĂąt de rĂ©solution et qu’on n’enlevĂąt le cadavre.

Alors sa derniÚre espérance était perdue.

En tout cas, maintenant son plan Ă©tait arrĂȘtĂ©.

Voici ce qu’il comptait faire.

Si pendant le trajet les fossoyeurs reconnaissaient qu’ils portaient un vivant au lieu de porter un mort, DantĂšs ne leur donnait pas le temps de se reconnaĂźtre ; d’un vigoureux coup de couteau il ouvrait le sac depuis le haut jusqu’en bas, profitait de leur terreur et s’échappait ; s’ils voulaient l’arrĂȘter, il jouait du couteau.

S’ils le conduisaient jusqu’au cimetiĂšre et le dĂ©posaient dans une fosse, il se laissait couvrir de terre ; puis, comme c’était la nuit, Ă  peine les fossoyeurs avaient-ils le dos tournĂ©, qu’il s’ouvrait un passage Ă  travers la terre molle et s’enfuyait : il espĂ©rait que le poids ne serait pas trop grand pour qu’il pĂ»t le soulever.

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Are sens