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Puis tout rentra dans la nuit, le terrible spectacle avait eu la durĂ©e de l’éclair.

DantĂšs se prĂ©cipita sur la pente glissante des rochers, au risque de rouler lui-mĂȘme dans la mer ; il regarda, il Ă©couta, mais il n’entendit et ne vit plus rien : plus de cris, plus d’efforts humains ; la tempĂȘte seule, cette grande chose de Dieu, continuait de rugir avec les vents et d’écumer avec les flots.

Peu Ă  peu, le vent s’abattit ; le ciel roula vers l’occident de gros nuages gris et pour ainsi dire dĂ©teints par l’orage ; l’azur reparut avec les Ă©toiles plus scintillantes que jamais ; bientĂŽt, vers 500

l’est, une longue bande rougeĂątre dessina Ă  l’horizon des ondulations d’un bleu-noir ; les flots bondirent, une subite lueur courut sur leurs cimes et changea leurs cimes Ă©cumeuses en criniĂšres d’or.

C’était le jour.

DantĂšs resta immobile et muet devant ce grand spectacle, comme s’il le voyait pour la premiĂšre fois. En effet, depuis le temps qu’il Ă©tait au chĂąteau d’If, il avait oubliĂ©. Il se retourna vers la forteresse interrogeant Ă  la fois d’un long regard circulaire la terre et la mer.

Le sombre bùtiment sortait du sein des vagues avec cette imposante majesté des choses immobiles, qui semblent à la fois surveiller et commander.

Il pouvait ĂȘtre cinq heures du matin ; la mer continuait de se calmer.

« Dans deux ou trois heures, se dit Edmond, le porte-clefs va entrer dans ma chambre, trouvera le cadavre de mon pauvre ami, le reconnaĂźtra, me cherchera vainement et donnera l’alarme. Alors 501

on trouvera le trou, la galerie ; on interrogera ces hommes qui m’ont lancĂ© Ă  la mer et qui ont dĂ» entendre le cri que j’ai poussĂ©. AussitĂŽt, des barques remplies de soldats armĂ©s courront aprĂšs le malheureux fugitif qu’on sait bien ne pas ĂȘtre loin. Le canon avertira toute la cĂŽte qu’il ne faut point donner asile Ă  un homme qu’on rencontrera, nu et affamĂ©. Les espions et les alguazils de Marseille seront avertis et battront la cĂŽte, tandis que le gouverneur du chĂąteau d’If fera battre la mer. Alors, traquĂ© sur l’eau, cernĂ© sur la terre, que deviendrai-je ? J’ai faim, j’ai froid, j’ai lĂąchĂ© jusqu’au couteau sauveur qui me gĂȘnait pour nager ; je suis Ă  la merci du premier paysan qui voudra gagner vingt francs en me livrant ; je n’ai plus ni force, ni idĂ©e, ni rĂ©solution. Ô mon Dieu !

mon Dieu ! voyez si j’ai assez souffert, et si vous pouvez faire pour moi plus que je ne puis faire moi-mĂȘme. »

Au moment oĂč Edmond, dans une espĂšce de dĂ©lire occasionnĂ© par l’épuisement de sa force et le vide de son cerveau, prononçait, anxieusement tournĂ© vers le chĂąteau d’If, cette priĂšre ardente, il vit apparaĂźtre, Ă  la pointe de l’üle de PomĂšgue, 502

dessinant sa voile latine Ă  l’horizon, et pareil Ă  une mouette qui vole en rasant le flot, un petit bĂątiment que l’Ɠil d’un marin pouvait seul reconnaĂźtre pour une tartane gĂ©noise sur la ligne encore Ă  demi obscure de la mer. Elle venait du port de Marseille et gagnait le large en poussant l’écume Ă©tincelante devant la proue aiguĂ« qui ouvrait une route plus facile Ă  ses flancs rebondis.

« Oh ! s’écria Edmond, dire que dans une demi-heure j’aurais rejoint ce navire si je ne craignais pas d’ĂȘtre questionnĂ©, reconnu pour un fugitif et reconduit Ă  Marseille ! Que faire ? que dire ? quelle fable inventer dont ils puissent ĂȘtre la dupe ? Ces gens sont tous des contrebandiers, des demi-pirates. Sous prĂ©texte de faire le cabotage, ils Ă©cument les cĂŽtes ; ils aimeront mieux me vendre que de faire une bonne action stĂ©rile.

« Attendons.

« Mais attendre est chose impossible : je meurs de faim ; dans quelques heures, le peu de forces qui me reste sera Ă©vanoui : d’ailleurs l’heure de la visite approche ; l’éveil n’est pas 503

encore donnĂ©, peut-ĂȘtre ne se doutera-t-on de rien : je puis me faire passer pour un des matelots de ce petit bĂątiment qui s’est brisĂ© cette nuit.

Cette fable ne manquera point de vraisemblance ; nul ne viendra pour me contredire, ils sont bien engloutis tous. Allons. »

Et, tout en disant ces mots, DantĂšs tourna les yeux vers l’endroit oĂč le petit navire s’était brisĂ©, et tressaillit. À l’arĂȘte d’un rocher Ă©tait restĂ© accrochĂ© le bonnet phrygien d’un des matelots naufragĂ©s, et tout prĂšs de lĂ  flottaient quelques dĂ©bris de la carĂšne, solives inertes que la mer poussait et repoussait contre la base de l’üle, qu’elles battaient comme d’impuissants bĂ©liers.

En un instant, la rĂ©solution de DantĂšs fut prise ; il se remit Ă  la mer, nagea vers le bonnet, s’en couvrit la tĂȘte, saisit une des solives et se dirigea pour couper la ligne que devait suivre le bĂątiment.

« Maintenant, je suis sauvé », murmura-t-il.

Et cette conviction lui rendit ses forces.

BientÎt, il aperçut la tartane, qui, ayant le vent 504

presque debout, courait des bordĂ©es entre le chĂąteau d’If et la tour de Planier. Un instant, DantĂšs craignit qu’au lieu de serrer la cĂŽte le petit bĂątiment ne gagnĂąt le large, comme il eĂ»t fait par exemple si sa destination eĂ»t Ă©tĂ© pour la Corse ou la Sardaigne : mais, Ă  la façon dont il manƓuvrait, le nageur reconnut bientĂŽt qu’il dĂ©sirait passer, comme c’est l’habitude des bĂątiments qui vont en Italie, entre l’üle de Jaros et l’üle de Calaseraigne.

Cependant, le navire et le nageur approchaient insensiblement l’un de l’autre ; dans une de ses bordĂ©es, le petit bĂątiment vint mĂȘme Ă  un quart de lieue Ă  peu prĂšs de DantĂšs. Il se souleva alors sur les flots, agitant son bonnet en signe de dĂ©tresse ; mais personne ne le vit sur le bĂątiment, qui vira le bord et recommença une nouvelle bordĂ©e. DantĂšs songea Ă  appeler ; mais il mesura de l’Ɠil la distance et comprit que sa voix n’arriverait point jusqu’au navire, emportĂ©e et couverte qu’elle serait auparavant par la brise de la mer et le bruit des flots.

C’est alors qu’il se fĂ©licita de cette prĂ©caution 505

qu’il avait prise de s’étendre sur une solive.

Affaibli comme il Ă©tait, peut-ĂȘtre n’eĂ»t-il pas pu se soutenir sur la mer jusqu’à ce qu’il eĂ»t rejoint la tartane ; et, Ă  coup sĂ»r, si la tartane, ce qui Ă©tait possible, passait sans le voir, il n’eĂ»t pas pu regagner la cĂŽte.

DantĂšs, quoiqu’il fĂ»t Ă  peu prĂšs certain de la route que suivait le bĂątiment, l’accompagna des yeux avec une certaine anxiĂ©tĂ©, jusqu’au moment oĂč il lui vit faire son abattĂ©e et revenir Ă  lui.

Alors il s’avança à sa rencontre ; mais avant qu’ils se fussent joints, le bñtiment commença à virer de bord.

AussitĂŽt DantĂšs, par un effort suprĂȘme, se leva presque debout sur l’eau, agitant son bonnet, et jetant un de ces cris lamentables comme en poussent les marins en dĂ©tresse, et qui semblent la plainte de quelque gĂ©nie de la mer.

Cette fois, on le vit et on l’entendit. La tartane interrompit sa manƓuvre et tourna le cap de son cĂŽtĂ©. En mĂȘme temps, il vit qu’on se prĂ©parait Ă  mettre une chaloupe Ă  la mer.

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Un instant aprĂšs, la chaloupe, montĂ©e par deux hommes, se dirigea de son cĂŽtĂ©, battant la mer de son double aviron. DantĂšs alors laissa glisser la solive dont il pensait n’avoir plus besoin, et nagea vigoureusement pour Ă©pargner la moitiĂ© du chemin Ă  ceux qui venaient Ă  lui.

Cependant, le nageur avait comptĂ© sur des forces presque absentes ; ce fut alors qu’il sentit de quelle utilitĂ© lui avait Ă©tĂ© ce morceau de bois qui flottait dĂ©jĂ , inerte, Ă  cent pas de lui. Ses bras commençaient Ă  se roidir, ses jambes avaient perdu leur flexibilitĂ© ; ses mouvements devenaient durs et saccadĂ©s, sa poitrine Ă©tait haletante.

Il poussa un grand cri, les deux rameurs redoublĂšrent d’énergie, et l’un d’eux lui cria en italien :

« Courage ! »

Le mot lui arriva au moment oĂč une vague, qu’il n’avait plus la force de surmonter, passait au-dessus de sa tĂȘte et le couvrait d’écume.

Il reparut battant la mer de ces mouvements 507

inĂ©gaux et dĂ©sespĂ©rĂ©s d’un homme qui se noie, poussa un troisiĂšme cri, et se sentit enfoncer dans la mer comme s’il eĂ»t eu encore au pied le boulet mortel.

L’eau passa par-dessus sa tĂȘte, et Ă  travers l’eau, il vit le ciel livide avec des taches noires.

Un violent effort le ramena Ă  la surface de la mer. Il lui sembla alors qu’on le saisissait par les cheveux ; puis il ne vit plus rien, il n’entendit plus rien ; il Ă©tait Ă©vanoui.

Lorsqu’il rouvrit les yeux, DantĂšs se retrouva sur le pont de la tartane, qui continuait son chemin ; son premier regard fut pour voir quelle direction elle suivait : on continuait de s’éloigner du chĂąteau d’If.

DantĂšs Ă©tait tellement Ă©puisĂ©, que l’exclamation de joie qu’il fit fut prise pour un soupir de douleur.

Comme nous l’avons dit, il Ă©tait couchĂ© sur le pont : un matelot lui frottait les membres avec une couverture de laine ; un autre, qu’il reconnut pour celui qui lui avait criĂ© : « Courage ! » lui 508

introduisait l’orifice d’une gourde dans la bouche ; un troisiĂšme, vieux marin, qui Ă©tait Ă  la fois le pilote et le patron, le regardait avec le sentiment de pitiĂ© Ă©goĂŻste qu’éprouvent en gĂ©nĂ©ral les hommes pour un malheur auquel ils ont Ă©chappĂ© la veille et qui peut les atteindre le lendemain.

Quelques gouttes de rhum, que contenait la gourde, ranimĂšrent le cƓur dĂ©faillant du jeune homme, tandis que les frictions que le matelot, Ă  genoux devant lui, continuait d’opĂ©rer avec de la laine rendaient l’élasticitĂ© Ă  ses membres.

« Qui ĂȘtes-vous ? demanda en mauvais français le patron.

– Je suis, rĂ©pondit DantĂšs en mauvais italien, un matelot maltais ; nous venions de Syracuse, nous Ă©tions chargĂ©s de vin et de panoline. Le grain de cette nuit nous a surpris au cap Morgiou, et nous avons Ă©tĂ© brisĂ©s contre ces rochers que vous voyez lĂ -bas.

– D’oĂč venez-vous ?

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