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– Deux.

– Trois ! »

En mĂȘme temps, DantĂšs se sentit lancĂ©, en effet, dans un vide Ă©norme, traversant les airs comme un oiseau blessĂ©, tombant, tombant toujours avec une Ă©pouvante qui lui glaçait le 489

cƓur. Quoique tirĂ© en bas par quelque chose de pesant qui prĂ©cipitait son vol rapide, il lui sembla que cette chute durait un siĂšcle. Enfin, avec un bruit Ă©pouvantable, il entra comme une flĂšche dans une eau glacĂ©e qui lui fit pousser un cri, Ă©touffĂ© Ă  l’instant mĂȘme par l’immersion.

DantĂšs avait Ă©tĂ© lancĂ© dans la mer, au fond de laquelle l’entraĂźnait un boulet de trente-six attachĂ© Ă  ses pieds.

La mer est le cimetiùre du chñteau d’If.

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L’üle de Tiboulen

DantĂšs Ă©tourdi, presque suffoquĂ©, eut cependant la prĂ©sence d’esprit de retenir son haleine, et, comme sa main droite, ainsi que nous l’avons dit, prĂ©parĂ© qu’il Ă©tait Ă  toutes les chances, tenait son couteau tout ouvert, il Ă©ventra rapidement le sac, sortit le bras, puis la tĂȘte ; mais alors, malgrĂ© ses mouvements pour soulever le boulet, il continua de se sentir entraĂźnĂ© ; alors il se cambra, cherchant la corde qui liait ses jambes, et, par un effort suprĂȘme, il la trancha prĂ©cisĂ©ment au moment oĂč il suffoquait ; alors, donnant un vigoureux coup de pied, il remonta libre Ă  la surface de la mer, tandis que le boulet entraĂźnait dans ses profondeurs inconnues le tissu grossier qui avait failli devenir son linceul.

DantĂšs ne prit que le temps de respirer, et 491

replongea une seconde fois ; car la premiĂšre prĂ©caution qu’il devait prendre Ă©tait d’éviter les regards.

Lorsqu’il reparut pour la seconde fois, il Ă©tait dĂ©jĂ  Ă  cinquante pas au moins du lieu de sa chute ; il vit au-dessus de sa tĂȘte un ciel noir et tempĂ©tueux, Ă  la surface duquel le vent balayait quelques nuages rapides, dĂ©couvrant parfois un petit coin d’azur rehaussĂ© d’une Ă©toile ; devant lui s’étendait la plaine sombre et mugissante, dont les vagues commençaient Ă  bouillonner comme Ă  l’approche d’une tempĂȘte, tandis que, derriĂšre lui, plus noir que la mer, plus noir que le ciel, montait, comme un fantĂŽme menaçant, le gĂ©ant de granit, dont la pointe sombre semblait un bras Ă©tendu pour ressaisir sa proie ; sur la roche la plus haute Ă©tait un falot Ă©clairant deux ombres.

Il lui sembla que ces deux ombres se penchaient sur la mer avec inquiĂ©tude ; en effet, ces Ă©tranges fossoyeurs devaient avoir entendu le cri qu’il avait jetĂ© en traversant l’espace. DantĂšs plongea donc de nouveau, et fit un trajet assez long entre deux eaux ; cette manƓuvre lui Ă©tait 492

jadis familiĂšre, et attirait d’ordinaire autour de lui, dans l’anse du Pharo, de nombreux admirateurs, lesquels l’avaient proclamĂ© bien souvent le plus habile nageur de Marseille.

Lorsqu’il revint à la surface de la mer, le falot avait disparu.

Il fallait s’orienter : de toutes les Ăźles qui entourent le chĂąteau d’If, Ratonneau et PomĂšgue sont les plus proches ; mais Ratonneau et PomĂšgue sont habitĂ©es ; il en est ainsi de la petite Ăźle de Daume ; l’üle la plus sĂ»re Ă©tait donc celle de Tiboulen ou de Lemaire ; les Ăźles de Tiboulen et de Lemaire sont Ă  une lieue du chĂąteau d’If.

DantĂšs ne rĂ©solut pas moins de gagner une de ces deux Ăźles ; mais comment trouver ces Ăźles au milieu de la nuit qui s’épaississait Ă  chaque instant autour de lui !

En ce moment, il vit briller comme une Ă©toile le phare de Planier.

En se dirigeant droit sur ce phare, il laissait l’üle de Tiboulen un peu à gauche ; en appuyant un peu à gauche, il devait donc rencontrer cette 493

Ăźle sur son chemin.

Mais, nous l’avons dit, il y avait une lieue au moins du chñteau d’If à cette üle.

Souvent, dans la prison, Faria répétait au jeune homme, en le voyant abattu et paresseux :

« DantĂšs, ne vous laissez pas aller Ă  cet amollissement ; vous vous noierez, si vous essayez de vous enfuir, et que vos forces n’aient pas Ă©tĂ© entretenues »

Sous l’onde lourde et amĂšre, cette parole Ă©tait venue tinter aux oreilles de DantĂšs ; il avait eu hĂąte de remonter alors et de fendre les lames pour voir si, effectivement, il n’avait pas perdu de ses forces ; il vit avec joie que son inaction forcĂ©e ne lui avait rien ĂŽtĂ© de sa puissance et de son agilitĂ©, et sentit qu’il Ă©tait toujours maĂźtre de l’élĂ©ment oĂč, tout enfant, il s’était jouĂ©.

D’ailleurs la peur, cette rapide persĂ©cutrice, doublait la vigueur de DantĂšs ; il Ă©coutait, penchĂ© sur la cime des flots, si aucune rumeur n’arrivait jusqu’à lui. Chaque fois qu’il s’élevait Ă  l’extrĂ©mitĂ© d’une vague, son rapide regard 494

embrassait l’horizon visible et essayait de plonger dans l’épaisse obscuritĂ© ; chaque flot un peu plus Ă©levĂ© que les autres flots lui semblait une barque Ă  sa poursuite, et alors il redoublait d’efforts, qui l’éloignaient sans doute, mais dont la rĂ©pĂ©tition devait promptement user ses forces.

Il nageait cependant, et dĂ©jĂ  le chĂąteau terrible s’était un peu fondu dans la vapeur nocturne : il ne le distinguait pas mais il le sentait toujours.

Une heure s’écoula pendant laquelle DantĂšs, exaltĂ© par le sentiment de la libertĂ© qui avait envahi toute sa personne, continua de fendre les flots dans la direction qu’il s’était faite.

« Voyons, se disait-il, voilĂ  bientĂŽt une heure que je nage, mais comme le vent m’est contraire j’ai dĂ» perdre un quart de ma rapiditĂ© ; cependant, Ă  moins que je ne me sois trompĂ© de ligne, je ne dois pas ĂȘtre loin de Tiboulen maintenant... Mais, si je m’étais trompĂ© ! »

Un frisson passa par tout le corps du nageur, il essaya de faire un instant la planche pour se reposer ; mais la mer devenait de plus en plus forte, et il comprit bientĂŽt que ce moyen de 495

soulagement, sur lequel il avait compté, était impossible.

« Eh bien, dit-il, soit, j’irai jusqu’au bout, jusqu’à ce que mes bras se lassent, jusqu’à ce que les crampes envahissent mon corps, et alors je coulerai Ă  fond ! »

Et il se mit Ă  nager avec la force et l’impulsion du dĂ©sespoir.

Tout Ă  coup, il lui sembla que le ciel, dĂ©jĂ  si obscur, s’assombrissait encore, qu’un nuage Ă©pais, lourd, compact, s’abaissait vers lui ; en mĂȘme temps, il sentit une violente douleur au genou : l’imagination, avec son incalculable vitesse, lui dit alors que c’était le choc d’une balle, et qu’il allait immĂ©diatement entendre l’explosion du coup de fusil ; mais l’explosion ne retentit pas. DantĂšs allongea la main et sentit une rĂ©sistance, il retira son autre jambe Ă  lui et toucha la terre ; il vit alors quel Ă©tait l’objet qu’il avait pris pour un nuage.

À vingt pas de lui s’élevait une masse de rochers bizarres qu’on prendrait pour un foyer immense pĂ©trifiĂ© au moment de sa plus ardente 496

combustion : c’était l’üle de Tiboulen.

DantĂšs se releva, fit quelques pas en avant, et s’étendit, en remerciant Dieu, sur ces pointes de granit, qui lui semblĂšrent Ă  cette heure plus douces que ne lui avait jamais paru le lit le plus doux.

Puis, malgrĂ© le vent, malgrĂ© la tempĂȘte, malgrĂ© la pluie qui commençait Ă  tomber, brisĂ© de fatigue qu’il Ă©tait, il s’endormit de ce dĂ©licieux sommeil de l’homme chez lequel le corps s’engourdit, mais dont l’ñme veille avec la conscience d’un bonheur inespĂ©rĂ©.

Au bout d’une heure, Edmond se rĂ©veilla sous le grondement d’un immense coup de tonnerre : la tempĂȘte Ă©tait dĂ©chaĂźnĂ©e dans l’espace et battait l’air de son vol Ă©clatant ; de temps en temps un Ă©clair descendait du ciel comme un serpent de feu, Ă©clairant les flots et les nuages qui roulaient au-devant les uns des autres comme les vagues d’un immense chaos.

DantĂšs, avec son coup d’Ɠil de marin, ne s’était pas trompĂ© : il avait abordĂ© Ă  la premiĂšre des deux Ăźles, qui est effectivement celle de 497

Tiboulen. Il la savait nue, dĂ©couverte et n’offrant pas le moindre asile ; mais quand la tempĂȘte serait calmĂ©e il se remettrait Ă  la mer et gagnerait Ă  la nage l’üle Lemaire, aussi aride, mais plus large, et par consĂ©quent plus hospitaliĂšre.

Une roche qui surplombait offrit un abri momentanĂ© Ă  DantĂšs, il s’y rĂ©fugia, et presque au mĂȘme instant la tempĂȘte Ă©clata dans toute sa fureur.

Edmond sentait trembler la roche sous laquelle il s’abritait ; les vagues, se brisant contre la base de la gigantesque pyramide, rejaillissaient jusqu’à lui ; tout en sĂ»retĂ© qu’il Ă©tait, il Ă©tait au milieu de ce bruit profond, au milieu de ces Ă©blouissements fulgurants, pris d’une espĂšce de vertige : il lui semblait que l’üle tremblait sous lui, et d’un moment Ă  l’autre allait, comme un vaisseau Ă  l’ancre, briser son cĂąble, et l’entraĂźner au milieu de l’immense tourbillon.

Il se rappela alors que, depuis vingt-quatre heures, il n’avait pas mangĂ© : il avait faim, il avait soif.

DantĂšs Ă©tendit les mains et la tĂȘte, et but l’eau 498

de la tempĂȘte dans le creux d’un rocher.

Comme il se relevait, un Ă©clair qui semblait ouvrir le ciel jusqu’au pied du trĂŽne Ă©blouissant de Dieu illumina l’espace ; Ă  la lueur de cet Ă©clair, entre l’üle Lemaire et le cap Croisille, Ă  un quart de lieue de lui, DantĂšs vit apparaĂźtre, comme un spectre glissant du haut d’une vague dans un abĂźme, un petit bĂątiment pĂȘcheur emportĂ© Ă  la fois par l’orage et par le flot ; une seconde aprĂšs, Ă  la cime d’une autre vague, le fantĂŽme reparut, s’approchant avec une effroyable rapiditĂ©. DantĂšs voulut crier, chercha quelque lambeau de linge Ă  agiter en l’air pour leur faire voir qu’ils se perdaient, mais ils le voyaient bien eux-mĂȘmes. À la lueur d’un autre Ă©clair, le jeune homme vit quatre hommes cramponnĂ©s aux mĂąts et aux Ă©tais ; un cinquiĂšme se tenait Ă  la barre du gouvernail brisĂ©. Ces hommes qu’il voyait le virent aussi sans doute, car des cris dĂ©sespĂ©rĂ©s, emportĂ©s par la rafale sifflante, arrivĂšrent Ă  son oreille. Au-dessus du mĂąt, tordu comme un roseau, claquait en l’air, Ă  coups prĂ©cipitĂ©s, une voile en lambeaux ; tout Ă  coup les liens qui la retenaient encore se rompirent, et elle disparut, 499

emportée dans les sombres profondeurs du ciel, pareille à ces grands oiseaux blancs qui se dessinent sur les nuages noirs.

En mĂȘme temps, un craquement effrayant se fit entendre, des cris d’agonie arrivĂšrent jusqu’à DantĂšs. CramponnĂ© comme un sphinx Ă  son rocher, d’oĂč il plongeait sur l’abĂźme, un nouvel Ă©clair lui montra le petit bĂątiment brisĂ©, et, parmi les dĂ©bris, des tĂȘtes aux visages dĂ©sespĂ©rĂ©s, des bras Ă©tendus vers le ciel.

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