"Unleash your creativity and unlock your potential with MsgBrains.Com - the innovative platform for nurturing your intellect." » » Jules Vernes Voyages Extraordinaires Capitaine Hatteras - MsGBrains.Com

Add to favorite Jules Vernes Voyages Extraordinaires Capitaine Hatteras - MsGBrains.Com

Select the language in which you want the text you are reading to be translated, then select the words you don't know with the cursor to get the translation above the selected word!




Go to page:
Text Size:

– Merci ! dit Hatteras en serrant la main de son maître d’équipage, et il ajouta : Si vous ne nous voyez pas revenir, Johnson, attendez jusqu’à la débâcle prochaine, et tâchez de pousser une reconnaissance vers le pôle. Si les autres s’y opposent, ne pensez plus à nous, et ramenez le Forward en Angleterre.

– C’est votre volonté, capitaine ?

– Ma volonté absolue, répondit Hatteras.

– Vos ordres seront exécutés, dit simplement Johnson.

Cette décision prise, le docteur regretta son digne ami, mais il dut reconnaître qu’Hatteras faisait bien en agissant ainsi.

Les deux autres compagnons de voyage furent Bell, le charpentier, et Simpson. Le premier, bien portant, brave et dévoué, devait rendre de grands services pour les campements sur la neige ; le second, quoique moins résolu, accepta cependant de prendre part à une expédition dans laquelle il pouvait être fort utile en sa double qualité de chasseur et de pêcheur.

Ainsi ce détachement se composa d’Hatteras, de Clawbonny, de Bell, de Simpson et du fidèle Duk, c’étaient donc quatre hommes et sept chiens à nourrir. Les approvisionnements avaient été calculés en conséquence.

Pendant les premiers jours de janvier, la température se maintint en moyenne à trente-trois degrés au-dessous de zéro (-37º centigrades). Hatteras guettait avec impatience un changement de temps ; plusieurs fois il consulta le baromètre, mais il ne fallait pas s’y fier ; cet instrument semble perdre sous les hautes latitudes sa justesse habituelle ; la nature, dans ces climats, apporte de notables exceptions à ses lois générales : ainsi la pureté du ciel n’était pas toujours accompagnée de froid, et la neige ne ramenait pas une hausse dans la température ; le baromètre restait incertain, ainsi que l’avaient déjà remarqué beaucoup de navigateurs des mers polaires ; il descendait volontiers avec des vents du nord et de l’est ; bas, il amenait du beau temps ; haut, de la neige ou de la pluie. On ne pouvait donc compter sur ses indications.

Enfin, le 5 janvier, une brise de l’est ramena une reprise de quinze degrés ; la colonne thermométrique remonta à dix-huit degrés au-dessous de zéro (-28º centigrades). Hatteras résolut de partir le lendemain ; il n’y tenait plus, à voir sous ses yeux dépecer son navire ; la dunette avait passé tout entière dans le poêle.

Donc, le 6 janvier, au milieu de rafales de neige, l’ordre du départ fut donné ; le docteur fit ses dernières recommandations aux malades ; Bell et Simpson échangèrent de silencieux serrements de main avec leurs compagnons. Hatteras voulut adresser ses adieux à haute voix, mais il se vit entouré de mauvais regards. Il crut surprendre un ironique sourire sur les lèvres de Shandon. Il se tut. Peut-être même hésita-t-il un instant à partir, en jetant les yeux sur le Forward.

Mais il n’y avait pas à revenir sur sa décision ; le traîneau chargé et attelé attendait sur le champ de glace ; Bell prit les devants ; les autres suivirent. Johnson accompagna les voyageurs pendant un quart de mille ; puis Hatteras le pria de retourner à bord, ce que le vieux marin fit après un long geste d’adieu.

En ce moment, Hatteras, se retournant une dernière fois vers le brick, vit l’extrémité de ses mâts disparaître dans les sombres neiges du ciel.

Chapitre 29 À TRAVERS LES CHAMPS DE GLACE

La petite troupe descendit vers le sud-est. Simpson dirigeait l’équipage du traîneau. Duk l’aidait avec zèle, ne s’étonnant pas trop du métier de ses semblables. Hatteras et le docteur marchaient derrière, tandis que Bell, chargé d’éclairer la route, s’avançait en tête, sondant les glaces du bout de son bâton ferré.

La hausse du thermomètre annonçait une neige prochaine ; celle-ci ne se fit pas attendre, et tomba bientôt en épais flocons. Ces tourbillons opaques ajoutaient aux difficultés du voyage ; on s’écartait de la ligne droite ; on n’allait pas vite ; cependant, on put compter sur une moyenne de trois milles à l’heure.

Le champ de glace, tourmenté par les pressions de la gelée, présentait une surface inégale et raboteuse ; les heurts du traîneau devenaient fréquents, et, suivant les pentes de la route, il s’inclinait parfois sous des angles inquiétants ; mais enfin on se tira d’affaire.

Hatteras et ses compagnons se renfermaient avec soin dans leurs vêtements de peau taillés à la mode groënlandaise ; ceux-ci ne brillaient pas par la coupe, mais ils s’appropriaient aux nécessités du climat ; la figure des voyageurs se trouvait encadrée dans un étroit capuchon impénétrable au vent et à la neige ; la bouche, le nez, les yeux, subissaient seuls le contact de l’air, et il n’eût pas fallu les en garantir ; rien d’incommode comme les hautes cravates et les cache-nez, bientôt roidis par la glace ; le soir, on n’eût pu les enlever qu’à coups de hache, ce qui, même dans les mers arctiques, est une vilaine manière de se déshabiller. Il fallait au contraire laisser un libre passage à la respiration, qui devant un obstacle se fût immédiatement congelée.

L’interminable plaine se poursuivait avec une fatigante monotonie ; partout des glaçons amoncelés sous des aspects uniformes, des hummoks dont l’irrégularité finissait par sembler régulière, des blocs fondus dans un même moule, et des ice-bergs entre lesquels serpentaient de tortueuses vallées ; on marchait, la boussole à la main ; les voyageurs parlaient peu. Dans cette froide atmosphère, ouvrir la bouche constituait une véritable souffrance ; des cristaux de glace aigus se formaient soudain entre les lèvres, et la chaleur de l’haleine ne parvenait pas à les dissoudre. La marche restait silencieuse, et chacun tâtait de son bâton ce sol inconnu. Les pas de Bell s’imprégnaient dans les couches molles ; on les suivait attentivement, et, là où il passait, le reste de la troupe pouvait se hasarder à son tour.

Des traces nombreuses d’ours et de renards se croisaient en tous sens ; mais il fut impossible pendant cette première journée d’apercevoir un seul de ces animaux ; les chasser eût été d’ailleurs dangereux et inutile : on ne pouvait encombrer le traîneau déjà lourdement chargé.

Ordinairement, dans les excursions de ce genre, les voyageurs ont soin de laisser des dépôts de vivres sur leur route ; il les placent dans des cachettes de neige à l’abri des animaux, se déchargeant d’autant pour leur voyage, et, au retour, ils reprennent peu à peu ces approvisionnements qu’ils n’ont pas eu la peine de transporter.

Hatteras ne pouvait recourir à ce moyen sur un champ de glace peut-être mobile ; en terre ferme, ces dépôts eussent été praticables, mais non à travers les ice-fields, et les incertitudes de la route rendaient fort problématique un retour aux endroits déjà parcourus.

À midi, Hatteras fit arrêter sa petite troupe à l’abri d’une muraille de glace ; le déjeuner se composa de pemmican et de thé bouillant ; les qualités revivifiantes de cette boisson produisirent un véritable bien-être, et les voyageurs ne s’en firent pas faute.

La route fut reprise après une heure de repos ; vingt milles environ avaient été franchis pendant cette première journée de marche ; au soir, hommes et chiens étaient épuisés.

Cependant, malgré la fatigue, il fallut construire une maison de neige pour y passer la nuit ; la tente eût été insuffisante. Ce fut l’affaire d’une heure et demie. Bell se montra fort adroit ; les blocs de glace, taillés au couteau, se superposèrent avec rapidité, s’arrondirent en forme de dôme, et un dernier quartier vint assurer la solidité de l’édifice, en formant clef de voûte ; la neige molle servait de mortier ; elle remplissait les interstices, et, bientôt durcie, elle fit un bloc unique de la construction tout entière.

Une ouverture étroite, et par laquelle on se glissait en rampant, donnait accès dans cette grotte improvisée ; le docteur s’y enfourna non sans peine, et les autres le suivirent. On prépara rapidement le souper sur la cuisine à esprit-de-vin. La température intérieure de cette snow-house était fort supportable ; le vent, qui faisait rage au dehors, ne pouvait y pénétrer.

– À table ! s’écria bientôt le docteur de sa voix la plus aimable.

Et ce repas, toujours le même, peu varié mais réconfortant, se prit en commun. Quand il fut terminé, on ne songea plus qu’au sommeil ; les toiles de mackintosh, étendues sur la couche de neige, préservaient de toute humidité. On fit sécher à la flamme de la cuisine portative les bas et les chaussures ; puis, trois des voyageurs, enveloppés dans leur couverture de laine, s’endormirent tour à tour sous la garde du quatrième ; celui-là devait veiller à la sûreté de tous, et empêcher l’ouverture de la maison de se boucher, car, faute de ce soin, on risquait d’être enterré vivant.

Duk partageait la chambre commune ; l’équipage de chiens demeurait au dehors, et, après avoir pris sa part de souper, il se blottit sous une neige qui lui fit bientôt une imperméable couverture.

La fatigue de cette journée amena un prompt sommeil. Le docteur prit son quart de veille à trois heures du matin ; l’ouragan se déchaînait dans la nuit. Situation étrange que celle de ces gens isolés, perdus dans les neiges, enfouis dans ce tombeau dont les murailles s’épaississaient sous les rafales !

Le lendemain matin, à six heures, la marche monotone fut reprise ; toujours mêmes vallées, mêmes icebergs, une uniformité qui rendait difficile le choix des points de repère. Cependant la température, s’abaissant de quelques degrés, rendit plus rapide la course des voyageurs, en glaçant les couches de neige. Souvent on rencontrait certains monticules qui ressemblaient à des cairns ou à des cachettes d’Esquimaux ; le docteur en fit démolir un pour l’acquit de sa conscience, et n’y trouva qu’un simple bloc de glace.

– Qu’espérez-vous, Clawbonny ? lui disait Hatteras ; ne sommes-nous pas les premiers hommes à fouler cette partie du globe ?

– Cela est probable, répondit le docteur, mais enfin qui sait ?

– Ne perdons pas de temps en vaines recherches, reprenait le capitaine ; j’ai hâte d’avoir rejoint mon navire, quand même ce combustible si désiré viendrait à nous manquer.

– À cet égard, répondit le docteur, j’ai bon espoir.

– Docteur, disait souvent Hatteras, j’ai eu tort de quitter le Forward, c’est une faute ! la place d’un capitaine est à son bord, et non ailleurs.

– Johnson est là.

– Sans doute ! enfin… hâtons-nous ! hâtons-nous !

L’équipage marchait rapidement ; on entendait les cris de Simpson qui excitait les chiens ; ceux-ci, par suite d’un curieux phénomène de phosphorescence, couraient sur un sol enflammé, et les châssis du traîneau semblaient soulever une poussière d’étincelles. Le docteur s’était porté en avant pour examiner la nature de cette neige, quand tout d’un coup, en voulant sauter un hummock, il disparut. Bell, qui se trouvait rapproché de lui, accourut aussitôt.

– Eh bien, monsieur Clawbonny, cria-t-il avec inquiétude, pendant qu’Hatteras et Simpson le rejoignaient, où êtes-vous ?

– Docteur ! fit le capitaine.

– Par ici ! au fond d’un trou, répondit une voix rassurante ; un bout de corde, et je remonte à la surface du globe.

On tendit une corde au docteur, qui se trouvait blotti au fond d’un entonnoir creux d’une dizaine de pieds ; il s’attacha par le milieu du corps, et ses trois compagnons le halèrent, non sans peine.

– Êtes-vous blessé ? demanda Hatteras.

– Jamais ! il n’y a pas de danger avec moi, répondit le docteur en secouant sa bonne figure toute neigeuse.

– Mais comment cela vous est-il arrivé ?

– Eh ! c’est la faute de la réfraction ! répondit-il en riant, toujours la réfraction ! j’ai cru franchir un intervalle large d’un pied, et je suis tombé dans un trou profond de dix ! Ah ! les illusions d’optique ! ce sont les seules illusions qui me restent, mes amis, mais j’aurai de la peine à les perdre ! Que cela vous apprenne à ne jamais faire un pas sans avoir sondé le terrain, car il ne faut pas compter sur ses sens ! ici les oreilles entendent de travers et les yeux voient faux ! C’est vraiment un pays de prédilection.

– Pouvons-nous continuer notre route ? demanda le capitaine.

– Continuons, Hatteras, continuons ! cette petite chute m’a fait plus de bien que de mal.

La route au sud-est fut reprise, et, le soir venu, les voyageurs s’arrêtaient, après avoir franchi une distance de vingt-cinq milles ; ils étaient harassés, ce qui n’empêcha pas le docteur de gravir une montagne de glace pendant la construction de la maison de neige.

La lune, presque pleine encore, brillait d’un éclat extraordinaire dans le ciel pur ; les étoiles jetaient des rayons d’une intensité surprenante ; du sommet de l’ice-berg la vue s’étendait sur l’immense plaine, hérissée de monticules aux formes étranges ; à les voir épars, resplendissant sous les faisceaux lunaires, découpant leurs profils nets sur les ombres avoisinantes, semblables à des colonnes debout, à des fûts renversés, à des pierres tumulaires, on eût dit un vaste cimetière sans arbres, triste, silencieux, infini, dans lequel vingt générations du monde entier se fussent couchées à l’aise pour le sommeil éternel.

Are sens