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Malgré le froid et la fatigue, le docteur demeura dans une longue contemplation dont ses compagnons eurent beaucoup de peine à l’arracher ; mais il fallait songer au repos ; la hutte de neige était préparée : les quatre voyageurs s’y blottirent comme des taupes et ne tardèrent pas à s’endormir.

Le lendemain et les jours suivants se passèrent sans amener aucun incident particulier ; le voyage se faisait facilement ou difficilement, avec rapidité ou lenteur, suivant les caprices de la température, tantôt âpre et glaciale, tantôt humide et pénétrante ; il fallait, selon la nature du sol, employer soit les mocassins, soit les chaussures à neige.

On atteignit ainsi le 15 janvier ; la lune, dans son dernier quartier, restait peu de temps visible ; le soleil, quoique toujours caché sous l’horizon, donnait déjà six heures d’une sorte de crépuscule, insuffisant encore pour éclairer la route ; il fallait la jalonner d’après la direction donnée par le compas. Puis Bell prenait la tête ; Hatteras marchait en ligne droite derrière lui ; Simpson et le docteur, les relevant l’un par l’autre, de manière à n’apercevoir qu’Hatteras, cherchaient ainsi à se maintenir dans la ligne droite ; et cependant, malgré leurs soins, ils s’en écartaient parfois de trente et quarante degrés ; il fallait alors recommencer le travail des jalons.

Le 15 janvier, le dimanche, Hatteras estimait avoir fait à peu près cent milles dans le sud ; cette matinée fut consacrée à la réparation de divers objets de toilette et de campement ; la lecture du service divin ne fut pas oubliée.

À midi, l’on se remit en marche ; la température était froide ; le thermomètre marquait seulement trente-deux degrés au-dessous de zéro (-36° centigrades), dans une atmosphère très pure.

Tout à coup, et sans que rien pût faire présager ce changement soudain, il s’éleva de terre une vapeur dans un état complet de congélation ; elle atteignit une hauteur de quatre-vingt-dix pieds environ, et resta immobile ; on ne se voyait plus à un pas de distance ; cette vapeur s’attachait aux vêtements qu’elle hérissait de longs prismes aigus.

Les voyageurs, surpris par ce phénomène du frost-rime[55] , n’eurent qu’une pensée d’abord, celle de se réunir ; aussitôt ces divers appels se firent entendre :

– Oh ! Simpson !

– Bell ! par ici !

– Monsieur Clawbonny !

– Docteur !

– Capitaine ! où êtes-vous ?

Les quatre compagnons de route se cherchaient, les bras étendus dans ce brouillard intense, qui ne laissait aucune perception au regard. Mais ce qui devait les inquiéter, c’est qu’aucune réponse ne leur parvenait ; on eût dit cette vapeur impropre à transmettre les sons.

Chacun eut donc l’idée de décharger ses armes, afin de se donner un signal de ralliement. Mais, si le son de la voix paraissait trop faible, les détonations des armes à feu étaient trop fortes, car les échos s’en emparèrent, et, répercutées dans toutes les directions, elles produisaient un roulement confus, sans direction appréciable.

Chacun agit alors suivant ses instincts. Hatteras s’arrêta, et, se croisant les bras, attendit. Simpson se contenta, non sans peine, de retenir son traîneau. Bell revint sur ses pas, dont il rechercha soigneusement les marques avec la main. Le docteur, se heurtant aux blocs de glace, tombant et se relevant, alla de droite et de gauche, coupant ses traces et s’égarant de plus en plus.

Au bout de cinq minutes, il se dit :

– Cela ne peut pas durer ! Singulier climat ! Un peu trop d’imprévu, par exemple ! On ne sait sur quoi compter, sans parler de ces prismes aigus qui vous déchirent la figure. Aho ! aho ! capitaine ! cria-t-il de nouveau.

Mais il n’obtint pas de réponse ; à tout hasard, il rechargea son fusil, et malgré ses gants épais le froid du canon lui brûlait les mains. Pendant cette opération, il lui sembla entrevoir une masse confuse qui se mouvait à quelques pas de lui.

– Enfin ! dit-il, Hatteras ! Bell ! Simpson ! Est-ce vous ? Voyons, répondez !

Un sourd grognement se fit entendre.

« Haï ! pensa le bon docteur, qu’est cela ? »

La masse se rapprochait ; en perdant leur dimension première, ses contours s’accusaient davantage. Une pensée terrible se fit jour à l’esprit du docteur.

« Un ours ! » se dit-il.

En effet, ce devait être un ours de grande dimension ; égaré dans le brouillard, il allait, venait, retournait sur ses pas, au risque de heurter ces voyageurs dont certainement il ne soupçonnait pas la présence.

« Cela se complique ! » pensa le docteur en restant immobile.

Tantôt il sentait le souffle de l’animal, qui peu après se perdait dans ce frost-rime ; tantôt il entrevoyait les pattes énormes du monstre, battant l’air, et elles passaient si près de lui que ses vêtements furent plus d’une fois déchirés par des griffes aiguës ; il sautait en arrière, et alors la masse en mouvement s’évanouissait à la façon des spectres fantasmagoriques.

Mais en reculant ainsi le docteur sentit le sol s’élever sous ses pas ; s’aidant des mains, se cramponnant aux arêtes des glaçons, il gravit un bloc, puis deux ; il tâta du bout de son bâton.

« Un ice-berg ! se dit-il ; si j’arrive au sommet, je suis sauvé. »

Et, ce disant, il grimpa avec une agilité surprenante à quatre-vingts pieds d’élévation environ ; il dépassait de la tête le brouillard gelé, dont la partie supérieure se tranchait nettement !

« Bon ! » se dit-il, et, portant ses regards autour de lui, il aperçut ses trois compagnons émergeant de ce fluide dense.

– Hatteras !

– Monsieur Clawbonny !

– Bell !

– Simpson !

Ces quatre cris partirent presque en même temps ; le ciel, allumé par un magnifique halo, jetait des rayons pâles qui coloraient le frost-rime à la façon des nuages, et le sommet des ice-bergs semblait sortir d’une masse d’argent liquide. Les voyageurs se trouvaient circonscrits dans un cercle de moins de cent pieds de diamètre. Grâce à la pureté des couches d’air supérieures, par une température très froide, leurs paroles s’entendaient avec une extrême facilité, et ils purent converser du haut de leur glaçon. Après les premiers coups de fusil, chacun d’eux n’entendant pas de réponse n’avait eu rien de mieux à faire que de s’élever au-dessus du brouillard.

– Le traîneau ! cria le capitaine.

– À quatre-vingts pieds au-dessous de nous, répondit Simpson.

– En bon état ?

– En bon état.

– Et l’ours ? demanda le docteur.

– Quel ours ? répondit Bell.

– L’ours que j’ai rencontré, qui a failli me briser le crâne.

– Un ours ! fit Hatteras ; descendons alors.

– Mais non ! répliqua le docteur, nous nous perdrions encore, et ce serait à recommencer.

– Et si cet animal se jette sur nos chiens ?… dit Hatteras.

En ce moment, les aboiements de Duk retentirent ; ils sortaient du brouillard, et ils arrivaient facilement aux oreilles des voyageurs.

– C’est Duk ! s’écria Hatteras ! Il y a certainement quelque chose. Je descends.

Des hurlements de toute espèce sortaient alors de la masse, comme un concert effrayant ; Duk et les chiens donnaient avec rage. Tout ce bruit ressemblait à un bourdonnement formidable, mais sans éclat, ainsi qu’il arrive à des sons produits dans une salle capitonnée. On sentait qu’il se passait là, au fond de cette brume épaisse, quelque combat invisible, et la vapeur s’agitait parfois comme la mer pendant la lutte des monstres marins.

– Duk ! Duk, s’écria le capitaine en se disposant à rentrer dans le frost-rime.

– Attendez ! Hatteras, attendez ! répondit le docteur ; il me semble que le brouillard se dissipe.

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