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On continua de descendre la pente des montagnes. Simpson paraissait privé de tout sentiment ; il ne se plaignait plus ; la force lui manquait.

La tempête ne discontinuait pas ; la marche du traîneau devenait de plus en plus lente ; on gagnait à peine quelques milles par vingt-quatre heures, et, malgré l’économie la plus stricte, les vivres diminuaient sensiblement ; mais, tant qu’il en restait au-delà de la quantité nécessaire au retour, Hatteras marchait en avant.

Le 27, on trouva presque enfoui sous la neige un sextant, puis une gourde ; celle-ci contenait de l’eau-de-vie, ou plutôt un morceau de glace, au centre duquel tout l’esprit de cette liqueur s’était réfugié sous la forme d’une boule de neige ; elle ne pouvait plus servir.

Évidemment Hatteras suivait sans le vouloir les traces d’une grande catastrophe ; il s’avançait par le seul chemin praticable, ramassant les épaves de quelque naufrage horrible. Le docteur examinait avec soin si de nouveaux cairns ne s’offriraient pas à sa vue ; mais en vain.

De tristes pensées lui venaient à l’esprit : en effet, s’il découvrait ces infortunés, quels secours pourrait-il leur apporter ? Ses compagnons et lui commençaient à manquer de tout ; leurs vêtements se déchiraient, leurs vivres devenaient rares. Que ces naufragés fussent nombreux, et ils périssaient tous de faim. Hatteras semblait porté à les fuir ! N’avait-il pas raison, lui sur qui reposait le salut de son équipage ? Devait-il, en ramenant des étrangers à bord, compromettre la sûreté de tous ?

Mais ces étrangers, c’étaient des hommes, leurs semblables, peut-être des compatriotes ! Si faible que fût leur chance de salut, devait-on la leur enlever ? Le docteur voulut connaître la pensée de Bell à cet égard. Bell ne répondit pas. Ses propres souffrances lui endurcissaient le cœur. Clawbonny n’osa pas interroger Hatteras : il s’en rapporta donc à la Providence.

Le 27 janvier, vers le soir, Simpson parut être à toute extrémité ; ses membres déjà roidis et glacés, sa respiration haletante qui formait un brouillard autour de sa tête, des soubresauts convulsifs, annonçaient sa dernière heure. L’expression de son visage était terrible, désespérée, avec des regards de colère impuissante adressés au capitaine. Il y avait là toute une accusation, toute une suite de reproches muets, mais significatifs, mérités peut-être !

Hatteras ne s’approchait pas du mourant. Il l’évitait, il le fuyait, plus taciturne, plus concentré, plus rejeté en lui-même que jamais !

La nuit suivante fut épouvantable ; la tempête redoublait de violence ; trois fois la tente fut arrachée, et le drift de neige s’abattit sur ces infortunés, les aveuglant, les glaçant, les perçant de dards aigus arrachés aux glaçons environnants. Les chiens hurlaient lamentablement ; Simpson restait exposé à cette cruelle température. Bell parvint à rétablir le misérable abri de toile, qui, s’il ne défendait pas du froid, protégeait au moins contre la neige. Mais une rafale, plus rapide, l’enleva une quatrième fois, et l’entraîna dans son tourbillon au milieu d’épouvantables sifflements.

– Ah ! c’est trop souffrir ! s’écria Bell.

– Du courage ! du courage ! répondit le docteur en s’accrochant à lui pour ne pas être roulé dans les ravins.

Simpson râlait. Tout à coup, par un dernier effort, il se releva à demi, tendit son poing fermé vers Hatteras, qui le regardait de ses yeux fixes, poussa un cri déchirant et retomba mort au milieu de sa menace inachevée.

– Mort ! s’écria le docteur.

– Mort ! répéta Bell.

Hatteras, qui s’avançait vers le cadavre, recula sous la violence du vent.

C’était donc le premier de cet équipage qui tombait frappé par ce climat meurtrier, le premier à ne jamais revenir au port, le premier à payer de sa vie, après d’incalculables souffrances, l’entêtement intraitable du capitaine. Ce mort l’avait traité d’assassin, mais Hatteras ne courba pas la tête sous l’accusation. Cependant, une larme, glissant de sa paupière, vint se congeler sur sa joue pâle.

Le docteur et Bell le regardaient avec une sorte de terreur. Arc-bouté sur son long bâton, il apparaissait comme le génie de ces régions hyperboréennes, droit au milieu des rafales surexcitées, et sinistre dans son effrayante immobilité.

Il demeura debout, sans bouger, jusqu’aux premières lueurs du crépuscule, hardi, tenace, indomptable, et semblant défier la tempête qui mugissait autour de lui.

Chapitre 32 LE RETOUR AU FORWARD

Le vent se calma vers six heures du matin, et, passant subitement dans le nord, il chassa les nuages du ciel ; le thermomètre marquait trente-trois degrés au dessous de zéro (-37° centigrades). Les premières lueurs du crépuscule argentaient cet horizon qu’elles devaient dorer quelques jours plus tard.

Hatteras vint auprès de ses deux compagnons abattus, et d’une voix douce et triste il leur dit :

– Mes amis, plus de soixante milles nous séparent encore du point signalé par sir Edward Belcher. Nous n’avons que le strict nécessaire de vivres pour rejoindre le navire. Aller plus loin, ce serait nous exposer à une mort certaine, sans profit pour personne. Nous allons retourner sur nos pas.

– C’est là une bonne résolution, Hatteras, répondit le docteur ; je vous aurais suivi jusqu’où il vous eût plut de me mener, mais notre santé s’affaiblit de jour en jour ; à peine pouvons-nous mettre un pied devant l’autre ; j’approuve complètement ce projet de retour.

– Est-ce également votre avis, Bell ? demanda Hatteras.

– Oui, capitaine, répondit le charpentier.

– Eh bien, reprit Hatteras, nous allons prendre deux jours de repos. Ce n’est pas trop. Le traîneau a besoin de réparations importantes. Je pense donc que nous devons construire une maison de neige, dans laquelle puissent se refaire nos forces.

Ce point décidé, les trois hommes se mirent à l’ouvrage avec ardeur ; Bell prit les précautions nécessaires pour assurer la solidité de sa construction, et bientôt une retraite suffisante s’éleva au fond de la ravine où la dernière halte avait eu lieu.

Hatteras s’était fait sans doute une violence extrême pour interrompre son voyage ! tant de peines, de fatigues perdues ! une excursion inutile, payée de la mort d’un homme ! Revenir à bord sans un morceau de charbon ! qu’allait devenir l’équipage ? qu’allait-il faire sous l’inspiration de Richard Shandon ? Mais Hatteras ne pouvait lutter davantage.

Tous ses soins se reportèrent alors sur les préparatifs du retour ; le traîneau fut réparé, sa charge avait bien diminué d’ailleurs, et ne pesait pas deux cents livres. On raccommoda les vêtements usés, déchirés, imprégnés de neige et durcis par la gelée ; des mocassins et des snow-shoes nouveaux remplacèrent les anciens mis hors d’usage. Ces travaux prirent la journée du 29 et la matinée du 30 ; d’ailleurs, les trois voyageurs se reposaient de leur mieux et se réconfortaient pour l’avenir.

Pendant ces trente-six heures passées dans la maison de neige et sur les glaçons de la ravine, le docteur avait observé Duk, dont les singulières allures ne lui semblaient pas naturelles ; l’animal tournait sans cesse en faisant mille circuits imprévus qui paraissaient avoir entre eux un centre commun ; c’était une sorte d’élévation, de renflement du sol produit par différentes couches de glaces superposées ; Duk, en contournant ce point, aboyait à petit bruit, remuant sa queue avec impatience, regardant son maître et semblant l’interroger.

Le docteur, après avoir réfléchi, attribua cet état d’inquiétude à la présence du cadavre de Simpson, que ses compagnons n’avaient pas encore eu le temps d’enterrer.

Il résolut donc de procéder à cette triste cérémonie le jour même ; on devait repartir le lendemain matin des le crépuscule.

Bell et le docteur se munirent de pioches et se dirigèrent vers le fond de la ravine ; l’éminence signalée par Duk offrait un emplacement favorable pour y déposer le cadavre ; il fallait l’inhumer profondément pour le soustraire à la griffe des ours.

Le docteur et Bell commencèrent par enlever la couche superficielle de neige molle, puis ils attaquèrent la glace durcie ; au troisième coup de pioche, le docteur rencontra un corps dur qui se brisa ; il en retira les morceaux, et reconnut les restes d’une bouteille de verre.

De son côté, Bell mettait à jour un sac racorni, et dans lequel se trouvaient des miettes de biscuit parfaitement conservé.

– Hein ? fit le docteur.

– Qu’est-ce que cela veut dire ? demanda Bell en suspendant son travail.

Le docteur appela Hatteras, qui vint aussitôt.

Duk aboyait avec force, et, de ses pattes, il essayait de creuser l’épaisse couche de glace.

– Est-ce que nous aurions mis la main sur un dépôt de provisions ? dit le docteur.

– Cela y ressemble, répondit Bell.

– Continuez ! fit Hatteras.

Quelques débris d’aliments furent encore retirés, et une caisse au quart pleine de pemmican.

– Si c’est une cache, dit Hatteras, les ours l’ont certainement visitée avant nous. Voyez, ces provisions ne sont pas intactes.

– Cela est à craindre, répondit le docteur, car…

Il n’acheva pas sa phrase ; un cri de Bell venait de l’interrompre : ce dernier, écartant un bloc assez fort, montrait une jambe roide et glacée qui sortait par l’interstice des glaçons.

– Un cadavre ! s’écria le docteur.

– Ce n’est pas une cache, répondit Hatteras, c’est une tombe.

Le cadavre, mis à l’air, était celui d’un matelot d’une trentaine d’années, dans un état parfait de conservation ; il avait le vêtement des navigateurs arctiques ; le docteur ne put dire à quelle époque remontait sa mort.

Mais après ce cadavre Bell en découvrit un second, celui d’un homme de cinquante ans, portant encore sur sa figure la trace des souffrances qui l’avaient tué.

Are sens