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Le lendemain, il fallait replacer cet infortuné sur le traîneau, quoiqu’il demandât à rester seul, abandonné, et qu’on le laissât mourir en paix ; puis on reprenait cette marche effroyable au milieu de difficultés sans cesse accumulées.

Les brumes glacées pénétraient ces trois hommes jusqu’aux os ; la neige, le grésil, leur fouettaient le visage ; ils faisaient le métier de bête de somme, et n’avaient plus une nourriture suffisante.

Duk, semblable à son maître, allait et venait, bravant les fatigues, toujours alerte, découvrant de lui-même la meilleure route à suivre ; on s’en remettait à son merveilleux instinct.

Pendant la matinée du 23 janvier, au milieu d’une obscurité presque complète, car la lune était nouvelle Duk avait pris les devants ; durant plusieurs heures on le perdit de vue ; l’inquiétude prit Hatteras, d’autant plus que de nombreuses traces d’ours sillonnaient le sol ; il ne savait trop quel parti prendre, quand des aboiements se firent entendre avec force.

Hatteras hâta la marche du traîneau, et bientôt il rejoignit le fidèle animal au fond d’une ravine.

Duk, en arrêt, immobile comme s’il eût été pétrifié, aboyait devant une sorte de cairn, fait de quelques pierres à chaux recouvertes d’un ciment de glace.

– Cette fois, dit le docteur en détachant ses courroies, c’est un cairn, il n’y a pas à s’y tromper.

– Que nous importe ? répondit Hatteras.

– Hatteras, si c’est un cairn, il peut contenir un document précieux pour nous ; il renferme peut-être un dépôt de provisions, et cela vaut la peine d’y regarder.

– Et quel Européen aurait poussé jusqu’ici ? fit Hatteras en haussant les épaules.

– Mais à défaut d’Européens, répliqua le docteur, les Esquimaux n’ont-ils pu faire une cache en cet endroit, et y déposer les produits de leur pêche ou de leur chasse ? c’est assez leur habitude, ce me semble.

– Eh bien ! voyez, Clawbonny, répondit Hatteras ; mais je crains bien que vous n’en soyez pour vos peines.

Clawbonny et Bell, armés de pioches, se dirigèrent vers le cairn. Duk continuait d’aboyer avec fureur. Les pierres à chaux étaient fortement cimentées par la glace ; mais quelques coups ne tardèrent pas à les éparpiller sur le sol.

– Il y a évidemment quelque chose, dit le docteur.

– Je le crois, répondit Bell.

Ils démolirent le cairn avec rapidité. Bientôt une cachette fut découverte ; dans cette cachette se trouvait un papier tout humide. Le docteur s’en empara, le cœur palpitant. Hatteras accourut, prit le document et lut :

« Altam…, Porpoise, 13 déc… 1860, 12° long… 8°35’ lat… »

Le Porpoise, dit le docteur.

Le Porpoise, répéta Hatteras ! Je ne connais pas de navire de ce nom à fréquenter ces mers.

– Il est évident, reprit le docteur, que des navigateurs, des naufragés peut-être, ont passé là depuis moins de deux mois.

– Cela est certain, répondit Bell.

– Qu’allons-nous faire ? demanda le docteur.

– Continuer notre route, répondit froidement Hatteras. Je ne sais ce qu’est ce navire le Porpoise, mais je sais que le brick le Forward attend notre retour.

Chapitre 31 LA MORT DE SIMPSON

Le voyage fut repris ; l’esprit de chacun s’emplissait d’idées nouvelles et inattendues, car une rencontre dans ces terres boréales est l’événement le plus grave qui puisse se produire. Hatteras fronçait le sourcil avec inquiétude.

« Le Porpoise ! se demandait-il ; qu’est-ce que ce navire ? Et que vient-il faire si près du pôle ? »

À cette pensée, un frisson le prenait en dépit de la température. Le docteur et Bell, eux, ne songeaient qu’aux deux résultats que pouvait amener la découverte de ce document : sauver leurs semblables ou être sauvés par eux.

Mais les difficultés, les obstacles, les fatigues revinrent bientôt, et ils ne durent songer qu’à leur propre situation, si dangereuse alors.

La situation de Simpson empirait ; les symptômes d’une mort prochaine ne purent être méconnus par le docteur. Celui-ci n’y pouvait rien ; il souffrait cruellement lui-même d’une ophtalmie douloureuse qui pouvait aller jusqu’à la cécité, s’il n’y prenait garde. Le crépuscule donnait alors une quantité suffisante de lumière, et cette lumière, réfléchie par les neiges, brûlait les yeux ; il était difficile de se protéger contre cette réflexion, car les verres des lunettes, se couvrant d’une croûte glacée, devenaient opaques et interceptaient la vue. Or, il fallait veiller avec soin aux moindres accidents de la route et les relever du plus loin possible ; force était donc de braver les dangers de ophtalmie ; cependant le docteur et Bell, se couvrant les yeux, laissaient tour à tour à chacun d’eux le soin de diriger le traîneau.

Celui-ci glissait mal sur ses châssis usés ; le tirage devenait de plus en plus pénible ; les difficultés du terrain ne diminuaient pas ; on avait affaire à un continent de nature volcanique, hérissé et sillonné de crêtes vives ; les voyageurs avaient dû, peu à peu, s’élever à une hauteur de quinze cents pieds pour franchir le sommet des montagnes. La température était la plus âpre ; les rafales et les tourbillons s’y déchaînaient avec une violence sans égale, et c’était un triste spectacle que celui de ces infortunés se traînant sur ces cimes désolées.

Ils étaient pris aussi du mal de la blancheur ; cet éclat uniforme écœurait ; il enivrait, il donnait le vertige ; le sol semblait manquer et n’offrir aucun point fixe sur cette immense nappe blanche ; le sentiment éprouvé était celui du roulis, pendant lequel le pont du navire fuit sous le pied du marin ; les voyageurs ne pouvaient s’habituer à cet effet, et la continuité de cette sensation leur portait à la tête. La torpeur s’emparait de leurs membres, la somnolence de leur esprit, et souvent ils marchaient comme des hommes à peu près endormis ; alors un chaos, un heurt inattendu, une chute même, les tirait de cette inertie, qui les reprenait quelques instants plus tard.

Le 25 janvier, ils commencèrent à descendre des pentes abruptes ; leurs fatigues s’accrurent encore sur ces déclivités glacées ; un faux pas, bien difficile à éviter, pouvait les précipiter dans des ravins profonds, et, là, ils eussent été perdus sans ressource.

Vers le soir, une tempête d’une violence extrême balaya les sommets neigeux ; on ne pouvait résister à la violence de l’ouragan ; il fallait se coucher à terre ; mais la température étant fort basse, on risquait de se faire geler instantanément.

Bell, aidé d’Hatteras, construisit avec beaucoup de peine une snow-house, dans laquelle les malheureux cherchèrent un abri ; là, on prit quelques pincées de pemmican et un peu de thé chaud ; il ne restait pas quatre gallons d’esprit-de-vin ; or il était nécessaire d’en user pour satisfaire la soif, car il ne faut pas croire que la neige puisse être absorbée sous sa forme naturelle ; on est forcé de la faire fondre. Dans les pays tempérés, où le froid descend à peine au-dessous du point de congélation, elle ne peut être malfaisante ; mais au-delà du cercle polaire il en est tout autrement ; elle atteint une température si basse, qu’il n’est pas plus possible de la saisir avec la main qu’un morceau de fer rougi à blanc, et cela, quoiqu’elle conduise très mal la chaleur ; il y a donc entre elle et l’estomac une différence de température telle, que son absorption produirait une suffocation véritable. Les Esquimaux préfèrent endurer les plus longs tourments à se désaltérer de cette neige, qui ne peut aucunement remplacer l’eau et augmente la soif au lieu de l’apaiser. Les voyageurs ne pouvaient donc étancher la leur qu’à la condition de fondre la neige en brûlant l’esprit-de-vin.

À trois heures du matin, au plus fort de la tempête, le docteur prit le quart de veille ; il était accoudé dans un coin de la maison, quand une plainte lamentable de Simpson appela son attention ; il se leva pour lui donner ses soins, mais en se levant il se heurta fortement la tête à la voûte de glace ; sans se préoccuper autrement de cet incident, il se courba sur Simpson et se mit à lui frictionner ses jambes enflées et bleuâtres ; après un quart d’heure de ce traitement, il voulut se relever, et se heurta la tête une seconde fois, bien qu’il fût agenouillé alors.

« Voilà qui est bizarre », se dit-il.

Il porta la main au-dessus de sa tête : la voûte baissait sensiblement.

– Grand Dieu ! s’écria-t-il. Alerte, mes amis !

À ses cris, Hatteras et Bell se relevèrent vivement, et se heurtèrent à leur tour ; ils étaient dans une obscurité profonde.

– Nous allons être écrasés ! dit le docteur ; au dehors ! au dehors !

Et tous les trois, traînant Simpson à travers l’ouverture, ils quittèrent cette dangereuse retraite ; il était temps, car les blocs de glace, mal assujettis, s’effondrèrent avec fracas.

Les infortunés se trouvaient alors sans abri au milieu de la tempête, saisis par un froid d’une rigueur extrême. Hatteras se hâta de dresser la tente ; on ne put la maintenir contre la violence de l’ouragan, et il fallut s’abriter sous les plis de la toile, qui fut bientôt chargée d’une couche épaisse de neige ; mais au moins cette neige, empêchant la chaleur de rayonner au dehors, préserva les voyageurs du danger d’être gelés vivants.

Les rafales ne cessèrent pas avant le lendemain ; en attelant les chiens insuffisamment nourris, Bell s’aperçut que trois d’entre eux avaient commencé à ronger leurs courroies de cuir ; deux paraissaient fort malades et ne pouvaient aller loin.

Cependant, la caravane reprit sa marche tant bien que mal ; il restait encore soixante milles à franchir avant d’atteindre le point indiqué.

Le 26, Bell, qui allait en avant, appela tout à coup ses compagnons. Ceux-ci accoururent, et il leur montra d’un air stupéfait un fusil appuyé sur un glaçon.

– Un fusil ! s’écria le docteur.

Hatteras le prit ; il était en bon état et chargé.

– Les hommes du Porpoise ne peuvent être loin, dit le docteur.

Hatteras, en examinant l’arme, remarqua qu’elle était d’origine américaine ; ses mains se crispèrent sur le canon glacé.

– En route ! en route ! dit-il d’une voix sourde.

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