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Il semblait ne vouloir remettre son message qu’à Shandon lui-même.

– Ici, Captain ! fit ce dernier.

Le chien s’approcha ; Shandon prit la lettre sans difficulté, et Captain fit alors entendre trois aboiements clairs au milieu du silence profond qui régnait à bord et sur les quais.

Shandon tenait la lettre sans l’ouvrir.

– Mais lisez donc ! lisez donc ! s’écria le docteur.

Shandon regarda. L’adresse, sans date et sans indication de lieu, portait seulement :

« Au commandant Richard Shandon, à bord du brick le Forward. »

Shandon ouvrit la lettre, et lut :

« Vous vous dirigerez vers le cap Farewel. Vous l’atteindrez le 20 avril. Si le capitaine ne paraît pas à bord, vous franchirez le détroit de Davis, et vous remonterez la mer de Baffin jusqu’à la baie Melville.

« Le capitaine du Forward

« K.Z. »

Shandon plia soigneusement cette lettre laconique, la mit dans sa poche et donna l’ordre du départ. Sa voix, qui retentit seule au milieu des sifflements du vent d’est, avait quelque chose de solennel.

Bientôt le Forward fut hors des bassins, et, dirigé par un pilote de Liverpool, dont le petit cotre suivait à distance, il prit le courant de la Mersey. La foule se précipita sur le quai extérieur qui longe les Docks Victoria, afin d’entrevoir une dernière fois ce navire étrange. Les deux huniers, la misaine et la brigantine furent rapidement établis, et, sous cette voilure, le Forward, digne de son nom, après avoir contourné la pointe de Birkenhead, donna à toute vitesse dans la mer d’Irlande.

Chapitre 5 LA PLEINE MER

Le vent, inégal mais favorable, précipitait avec force ses rafales d’avril. Le Forward fendait la mer rapidement, et son hélice, rendue folle, n’opposait aucun obstacle à sa marche. Vers les trois heures, il croisa le bateau à vapeur qui fait le service entre Liverpool et l’île de Man, et qui porte les trois jambes de Sicile écartelées sur ses tambours. Le capitaine le héla de son bord, dernier adieu qu’il fut donné d’entendre à l’équipage du Forward.

À cinq heures, le pilote remettait à Richard Shandon le commandement du navire, et regagnait son cotre, qui, virant au plus près, disparut bientôt dans le sud-ouest.

Vers le soir, le brick doubla le calf du Man, à l’extrémité méridionale de l’île de ce nom. Pendant la nuit, la mer fut très houleuse ; le Forward se comporta bien, laissa la pointe d’Ayr par le nord-ouest, et se dirigea vers le canal du Nord.

Johnson avait raison ; en mer, l’instinct maritime des matelots reprenait le dessus ; à voir la bonté du bâtiment, ils oubliaient l’étrangeté de la situation. La vie du bord s’établit régulièrement. Le docteur aspirait avec ivresse le vent de la mer ; il se promenait vigoureusement dans les rafales, et pour un savant il avait le pied assez marin.

– C’est une belle chose que la mer, dit-il à maître Johnson, en remontant sur le pont après le déjeuner. Je fais connaissance un peu tard avec elle, mais je me rattraperai.

– Vous avez raison, monsieur Clawbonny ; je donnerais tous les continents du monde pour un bout d’Océan. On prétend que les marins se fatiguent vite de leur métier ; voilà quarante ans que je navigue, et je m’y plais comme au premier jour.

– Quelle jouissance vraie de se sentir un bon navire sous les pieds, et, si j’en juge bien, le Forward se conduit gaillardement !

– Vous jugez bien, docteur, répondît Shandon qui rejoignit les deux interlocuteurs ; c’est un bon bâtiment, et j’avoue que jamais navire destiné à une navigation dans les glaces n’aura été mieux pourvu et mieux équipé. Cela me rappelle qu’il y a trente ans passés le capitaine James Ross allant chercher le passage du Nord-Ouest…

– Montait la Victoire, dit vivement le docteur, brick d’un tonnage à peu près égal au nôtre, également muni d’une machine à vapeur…

– Comment ! vous savez cela ?

– Jugez-en, repartit le docteur ; alors les machines étaient encore dans l’enfance de l’art, et celle de la Victoire lui causa plus d’un retard préjudiciable ; le capitaine James Ross, après l’avoir réparée vainement pièce par pièce, finit par la démonter, et l’abandonna à son premier hivernage.

– Diable ! fit Shandon ; vous êtes au courant, je le vois.

– Que voulez-vous ? reprit le docteur ; à force de lire, j’ai lu les ouvrages de Parry, de Ross, de Franklin, les rapports de MacClure, de Kennedy, de Kane, de MacClintock, et il m’en est resté quelque chose. J’ajouterai même que ce MacClintock, à bord du Fox, brick à hélice dans le genre du nôtre, est allé plus facilement et plus directement à son but que tous ses devanciers.

– Cela est parfaitement vrai, répondit Shandon ; c’est un hardi marin que ce MacClintock ; je l’ai vu à l’œuvre ; vous pouvez ajouter que comme lui nous nous trouverons dès le mois d’avril dans le détroit de Davis, et, si nous parvenons à franchir les glaces, notre voyage sera considérablement avancé.

– À moins, repartit le docteur, qu’il ne nous arrive comme au Fox, en 1857, d’être pris dès la première année par les glaces du nord de la mer de Baffin, et d’hiverner au milieu de la banquise.

– Il faut espérer que nous serons plus heureux, monsieur Shandon, répondit maître Johnson ; et si avec un bâtiment comme le Forward on ne va pas où l’on veut, il faut y renoncer à jamais.

– D’ailleurs, reprit le docteur, si le capitaine est à bord, il saura mieux que nous ce qu’il faudra faire, et d’autant plus que nous l’ignorons complètement ; car sa lettre, singulièrement laconique, ne nous permet pas de deviner le but du voyage.

– C’est déjà beaucoup, répondit Shandon assez vivement, de connaître la route à suivre, et maintenant, pendant un bon mois, j’imagine, nous pouvons nous passer de l’intervention surnaturelle de cet inconnu et de ses instructions. D’ailleurs, vous savez mon opinion sur son compte.

– Hé ! hé ! fit le docteur ; je croyais comme vous que cet homme vous laisserait le commandement du navire, et ne viendrait jamais à bord ; mais….

– Mais ? répliqua Shandon avec une certaine contrariété.

– Mais, depuis l’arrivée de sa seconde lettre, j’ai dû modifier mes idées à cet égard.

– Et pourquoi cela, docteur ?

– Parce que si cette lettre vous indique la route à suivre, elle ne vous fait pas connaître la destination du Forward ; or, il faut bien savoir où l’on va. Le moyen, je vous le demande, qu’une troisième lettre vous parvienne, puisque nous voilà en pleine mer ! Sur les terres du Groënland, le service de la poste doit laisser à désirer. Voyez-vous, Shandon, j’imagine que ce gaillard-là nous attend dans quelque établissement danois, à Hosteinborg ou Uppernawik ; il aura été là compléter sa cargaison de peaux de phoques, acheter ses traîneaux et ses chiens, en un mot, réunir tout l’attirail que comporte un voyage dans les mers arctiques. Je serai donc peu surpris de le voir un beau matin sortir de sa cabine, et commander la manœuvre de la façon la moins surnaturelle du monde.

– Possible, répondit Shandon d’un ton sec ; mais, en attendant, le vent fraîchit, et il n’est pas prudent de risquer ses perroquets par un temps pareil.

Shandon quitta le docteur et donna l’ordre de carguer les voiles hautes.

– Il y tient, dit le docteur au maître d’équipage.

– Oui, répondit ce dernier, et cela est fâcheux, car vous pourriez bien avoir raison, monsieur Clawbonny.

Le samedi vers le soir, le Forward doubla le mull[12] de Galloway, dont le phare fut relevé dans le nord-est ; pendant la nuit, on laissait le mull de Cantyre au nord, et à l’est le cap Fair sur la côte d’Irlande. Vers les trois heures du matin, le brick, prolongeant l’île Rathlin sur sa hanche de tribord, débouquait par le canal du Nord dans l’Océan.

C’était le dimanche, 8 avril ; les Anglais, et surtout les matelots, sont fort observateurs de ce jour ; aussi la lecture de la Bible, dont le docteur se chargea volontiers, occupa une partie de la matinée.

Le vent tournait alors à l’ouragan et tendait à rejeter le brick sur la côte d’Irlande ; les vagues furent très fortes, le roulis très dur. Si le docteur n’eut pas le mal de mer, c’est qu’il ne voulut pas l’avoir, car rien n’était plus facile. À midi, le cap Malinhead disparaissait dans le sud ; ce fut la dernière terre d’Europe que ces hardis marins dussent apercevoir, et plus d’un la regarda longtemps, qui sans doute ne devait jamais la revoir.

La latitude par observation était alors de 55°57’, et la longitude, d’après les chronomètres 7°40’[13] .

L’ouragan se calma vers les neuf heures du soir ; le Forward, bon voilier, maintint sa route au nord-ouest. On put juger pendant cette journée de ses qualités marines ; suivant la remarque des connaisseurs de Liverpool, c’était avant tout un navire à voile.

Pendant les jours suivants, le Forward gagna rapidement dans le nord-ouest ; le vent passa dans le sud, et la mer fut prise d’une grosse houle. Le brick naviguait alors sous pleine voilure. Quelques pétrels et des puffins vinrent voltiger au-dessus de la dunette ; le docteur tua fort adroitement l’un de ces derniers, qui tomba heureusement à bord.

Simpson, le harponneur, s’en empara, et le rapporta à son propriétaire.

– Un vilain gibier, monsieur Clawbonny, dit-il.

– Qui fera un excellent repas, au contraire, mon ami !

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