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Cependant, dans ces contrées où la polaire brille droit au-dessus de la tête du voyageur, il est malaisé de la prendre pour guide ; en effet, quand le nord est exactement au sommet de la voûte céleste, les autres points cardinaux sont difficiles à déterminer : la lune et les grandes constellations vinrent heureusement aider le docteur à fixer sa route.

Il résolut, pour abréger son chemin, d’éviter les sinuosités du rivage et de couper au travers des terres ; c’était plus direct, mais moins sûr : aussi, après quelques heures de marche, la petite troupe fut complètement égarée.

On agita la question de passer la nuit dans une hutte de glace, de s’y reposer, et d’attendre le jour pour s’orienter, dût-on revenir au rivage, afin de suivre l’ice-field ; mais le docteur, craignant d’inquiéter Hatteras et Johnson, insista pour que la route fût continuée.

– Duk nous conduit, dit-il, et Duk ne peut se tromper : il est doué d’un instinct qui se passe de boussole et d’étoile. Suivons-le donc.

Duk marchait en avant, et on s’en fia à son intelligence. On eut raison ; bientôt une lueur apparut au loin dans l’horizon ; on ne pouvait la confondre avec une étoile, qui ne fût pas sortie de brumes aussi basses.

– Voilà notre phare ! s’écria le docteur.

– Vous croyez, monsieur Clawbonny ? dit le charpentier.

– J’en suis certain. Marchons.

À mesure que les voyageurs approchaient, la lueur devenait plus intense, et bientôt ils furent enveloppés par une traînée de poussière lumineuse ; ils marchaient dans un immense rayon, et derrière eux leurs ombres gigantesques, nettement découpées, s’allongeaient démesurément sur le tapis de neige.

Ils doublèrent le pas, et, une demi-heure après, ils gravissaient le talus du Fort-Providence.

Chapitre 9 LE FROID ET LE CHAUD

Hatteras et Johnson attendaient les trois chasseurs avec une certaine inquiétude. Ceux-ci furent enchantés de retrouver un abri chaud et commode. La température, avec le soir, s’était singulièrement abaissée, et le thermomètre placé à l’extérieur marquait soixante-treize degrés au-dessous de zéro (-31° centigrades).

Les arrivants, exténués de fatigue et presque gelés, n’en pouvaient plus ; les poêles heureusement marchaient bien ; le fourneau n’attendait plus que les produits de la chasse ; le docteur se transforma en cuisinier et fit griller quelques côtelettes de morse. À neuf heures du soir, les cinq convives s’attablaient devant un souper réconfortant.

– Ma foi, dit Bell, au risque de passer pour un Esquimau, j’avouerai que le repas est la grande chose d’un hivernage ; quand on est parvenu à l’attraper, il ne faut pas bouder devant !

Chacun des convives, ayant la bouche pleine, ne put répondre immédiatement au charpentier ; mais le docteur lui fit signe qu’il avait bien raison.

Les côtelettes de morse furent déclarées excellentes, ou, si on ne le déclara pas, on les dévora jusqu’à la dernière, ce qui valait toutes les déclarations du monde.

Au dessert, le docteur prépara le café, suivant son habitude ; il ne laissait à personne le soin de distiller cet excellent breuvage ; il le faisait sur la table, dans une cafetière à esprit-de-vin, et le servait bouillant. Pour son compte, il fallait qu’il lui brûlât la langue, ou il le trouvait indigne de passer par son gosier. Ce soir-là il l’absorba à une température si élevée, que ses compagnons ne purent l’imiter.

– Mais vous allez vous incendier, docteur, lui dit Altamont.

– Jamais, répondit-il.

– Vous avez donc le palais doublé en cuivre ? répliqua Johnson.

– Point, mes amis ; je vous engage à prendre exemple sur moi. Il y a des personnes, et je suis du nombre, qui boivent le café à la température de cent trente et un degrés (+55° centigrades).

– Cent trente et un degrés ! s’écria Altamont ; mais la main ne supporterait pas une pareille chaleur !

– Évidemment, Altamont, puisque la main ne peut pas endurer plus de cent vingt-deux degrés (+50° centigrades) dans l’eau ; mais le palais et la langue sont moins sensibles que la main, et ils résistent là où celles-ci ne pourraient y tenir.

– Vous m’étonnez, dit Altamont.

– Eh bien, je vais vous convaincre.

Et le docteur, ayant pris le thermomètre du salon, en plongea la boule dans sa tasse de café bouillant ; il attendit que l’instrument ne marquât plus que cent trente et un degrés, et il avala sa liqueur bienfaisante avec une évidente satisfaction.

Bell voulut l’imiter bravement et se brûla à jeter les hauts cris.

– Manque d’habitude, dit le docteur.

– Clawbonny, reprit Altamont, pourriez-vous nous dire quelles sont les plus hautes températures que le corps humain soit capable de supporter ?

– Facilement, répondit le docteur ; on l’a expérimenté, et il y a des faits curieux à cet égard. Il m’en revient un ou deux à la mémoire, et ils vous prouveront qu’on s’accoutume à tout, même à ne pas cuire où cuirait un beefsteak. Ainsi, on raconte que des filles de service au four banal de la ville de La Rochefoucauld, en France, pouvaient rester dix minutes dans ce four, pendant que la température s’y trouvait à trois cents degrés (+ 132° centigrades), c’est-à-dire supérieure de quatre-vingt-neuf degrés à l’eau bouillante, et tandis qu’autour d’elles des pommes et de la viande grillaient parfaitement.

– Quelles filles ! s’écria Altamont.

– Tenez, voici un autre exemple qu’on ne peut mettre en doute. Neuf de nos compatriotes, en 1774, Fordyce, Banks, Solander, Blagdin, Home, Nooth, Lord Seaforth et le capitaine Philips, supportèrent une température de deux cent quatre-vingt-quinze degrés (+ 128° centigrades), pendant que des œufs et un roastbeef cuisaient auprès d’eux.

– Et c’étaient des Anglais ! dit Bell avec un certain sentiment de fierté.

– Oui, Bell, répondit le docteur.

– Oh ! des Américains auraient mieux fait, fit Altamont.

– Ils eussent rôti, dit le docteur en riant.

– Et pourquoi pas ? répondit l’Américain.

– En tout cas, ils ne l’ont pas essayé ; donc je m’en tiens à mes compatriotes. J’ajouterai un dernier fait, incroyable, si l’on pouvait douter de la véracité des témoins. Le duc de Raguse et le docteur Jung, un Français et un Autrichien, virent un Turc se plonger dans un bain qui marquait cent soixante-dix degrés (+78° centigrades).

– Mais il me semble, dit Johnson, que cela ne vaut ni les filles du four banal, ni nos compatriotes !

– Pardon, répondit le docteur ; il y a une grande différence entre se plonger dans l’air chaud ou dans l’eau chaude ; l’air chaud amène une transpiration qui garantit les chairs, tandis que dans l’eau bouillante on ne transpire pas, et l’on se brûle. Aussi la limite extrême de température assignée aux bains n’est-elle en général que de cent sept degrés (+42° centigrades). Il fallait donc que ce Turc fût un homme peu ordinaire pour supporter une chaleur pareille !

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