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Ces deux hommes serrèrent alors, dans une chaleureuse étreinte, leur main franche et loyale.

Quand ils se retournèrent vers le docteur, celui-ci pleurait.

– Ah ! mes amis, murmura-t-il en s’essuyant les yeux, comment mon cœur peut-il contenir la joie dont vous le remplissez ! Ah ! mes chers compagnons, vous avez sacrifié, pour vous réunir dans un succès commun, cette misérable question de nationalité ! Vous vous êtes dit que l’Angleterre et l’Amérique ne faisaient rien dans tout cela, et qu’une étroite sympathie devait nous lier contre les dangers de notre expédition ! Si le pôle Nord est atteint, n’importe qui l’aura découvert ! Pourquoi se rabaisser ainsi et se targuer d’être Américains ou Anglais, quand on peut se vanter d’être hommes !

Le bon docteur pressait dans ses bras les ennemis réconciliés ; il ne pouvait calmer sa joie ; les deux nouveaux amis se sentaient plus rapprochés encore par l’amitié que le digne homme leur portait à tous deux. Clawbonny parlait, sans pouvoir se contenir, de la vanité des compétitions, de la folie des rivalités, et de l’accord si nécessaire entre des hommes abandonnés loin de leur pays. Ses paroles, ses larmes, ses caresses, tout venait du plus profond de son cœur.

Cependant il se calma, après avoir embrassé une vingtième fois Hatteras et Altamont.

– Et maintenant, dit-il, à l’ouvrage, à l’ouvrage ! Puisque je n’ai été bon à rien comme chasseur, utilisons mes autres talents.

Et il se mit en train de dépecer le bœuf, qu’il appelait « le bœuf de la réconciliation », mais si adroitement, qu’il ressemblait à un chirurgien pratiquant une autopsie délicate.

Ses deux compagnons le regardaient en souriant. Au bout de quelques minutes, l’adroit praticien eut retiré du corps de l’animal une centaine de livres de chair appétissante ; il en fit trois parts, dont chacun se chargea, et l’on reprit la route de Fort-Providence.

À dix heures du soir, les chasseurs, marchant dans les rayons obliques du soleil, atteignirent Doctor’s-House, où Johnson et Bell leur avaient préparé un bon repas.

Mais, avant de se mettre à table, le docteur s’était écrié d’une voix triomphante, en montrant ses deux compagnons de chasse :

– Mon vieux Johnson, j’avais emmené avec moi un Anglais et un Américain, n’est-il pas vrai ?

– Oui, monsieur Clawbonny, répondit le maître d’équipage.

– Eh bien, je ramène deux frères.

Les marins tendirent joyeusement la main à Altamont ; le docteur leur raconta ce qu’avait fait le capitaine américain pour le capitaine anglais, et, cette nuit-là, la maison de neige abrita cinq hommes parfaitement heureux.

Chapitre 18 LES DERNIERS PRÉPARATIFS

Le lendemain, le temps changea ; il y eut un retour au froid ; la neige, la pluie et les tourbillons se succédèrent pendant plusieurs jours.

Bell avait terminé sa chaloupe ; elle répondait parfaitement au but qu’elle devait remplir ; pontée en partie, haute de bord, elle pouvait tenir la mer par un gros temps, avec sa misaine et son foc ; sa légèreté lui permettait d’être halée sur le traîneau sans peser trop à l’attelage de chiens.

Enfin, un changement d’une haute importance pour les hiverneurs se préparait dans l’état du bassin polaire. Les glaces commençaient à s’ébranler au milieu de la baie ; les plus hautes, incessamment minées par les chocs, ne demandaient qu’une tempête assez forte pour s’arracher du rivage et former des ice-bergs mobiles. Cependant Hatteras ne voulut pas attendre la dislocation du champ de glace pour commencer son excursion. Puisque le voyage devait se faire par terre, peu lui importait que la mer fût libre ou non ; il fixa donc le départ au 25 juin ; d’ici là, tous les préparatifs pouvaient être entièrement terminés. Johnson et Bell s’occupèrent de remettre le traîneau en parfait état ; les châssis furent renforcés et les patins refaits à neuf. Les voyageurs comptaient profiter pour leur excursion de ces quelques semaines de beau temps que la nature accorde aux contrées hyperboréennes. Les souffrances seraient donc moins cruelles à affronter, les obstacles plus faciles à vaincre.

Quelques jours avant le départ, le 20 juin, les glaces laissèrent entre elles quelques passes libres dont on profita pour essayer la chaloupe dans une promenade jusqu’au cap Washington. La mer n’était pas absolument dégagée, il s’en fallait ; mais enfin elle ne présentait plus une surface solide, et il eût été impossible de tenter à pied une excursion à travers les ice-fields rompus.

Cette demi-journée de navigation permit d’apprécier les bonnes qualités nautiques de la chaloupe.

Pendant leur retour, les navigateurs furent témoins d’un incident curieux. Ce fut la chasse d’un phoque faite par un ours gigantesque ; celui-ci était heureusement trop occupé pour apercevoir la chaloupe, car il n’eût pas manqué de se mettre à sa poursuite ; il se tenait à l’affût auprès d’une crevasse de l’ice-field par laquelle le phoque avait évidemment plongé. L’ours épiait donc sa réapparition avec la patience d’un chasseur ou plutôt d’un pêcheur, car il péchait véritablement. Il guettait en silence ; il ne remuait pas ; il ne donnait aucun signe de vie.

Mais, tout d’un coup, la surface du trou vint à s’agiter ; l’amphibie remontait pour respirer ; l’ours se coucha tout de son long sur le champ glacé et arrondit ses deux pattes autour de la crevasse.

Un instant après, le phoque apparut, la tête hors de l’eau ; mais il n’eut pas le temps de l’y replonger ; les pattes de l’ours, comme détendues par un ressort, se rejoignirent, étreignirent l’animal avec une irrésistible vigueur, et l’enlevèrent hors de son élément de prédilection.

Ce fut une lutte rapide ; le phoque se débattit pendant quelques secondes et fut étouffé sur la poitrine de son gigantesque adversaire ; celui-ci, l’emportant sans peine, bien qu’il fût d’une grande taille, et sautant légèrement d’un glaçon à l’autre jusqu’à la terre ferme, disparut avec sa proie.

– Bon voyage ! lui cria Johnson ; cet ours-là a un peu trop de pattes à sa disposition.

La chaloupe regagna bientôt la petite anse que Bell lui avait ménagée entre les glaces.

Quatre jours séparaient encore Hatteras et ses compagnons du moment fixé pour leur départ.

Hatteras pressait les derniers préparatifs ; il avait hâte de quitter cette Nouvelle-Amérique, cette terre qui n’était pas sienne et qu’il n’avait pas nommée ; il ne se sentait pas chez lui.

Le 22 juin, on commença à transporter sur le traîneau les effets de campement, la tente et les provisions. Les voyageurs emportaient deux cents livres de viande salée, trois caisses de légumes et de viandes conservées, cinquante livres de saumure et de lime-juice, cinq quarters[70] de farine, des paquets de cresson et de cochléaria, fournis par les plantations du docteur ; en y ajoutant deux cents livres de poudre, les instruments, les armes et les menus bagages, en y comprenant la chaloupe, l’halket-boat et le poids du traîneau, c’était une charge de près de quinze cents livres à traîner, et fort pesante pour quatre chiens ; d’autant plus que, contrairement à l’habitude des Esquimaux, qui ne les font pas travailler plus de quatre jours de suite, ceux-ci, n’ayant pas de remplaçants, devaient tirer tous les jours ; mais les voyageurs se promettaient de les aider au besoin, et ils ne comptaient marcher qu’à petites journées ; la distance de la baie Victoria au pôle était de trois cent cinquante-cinq milles au plus[71] , et, à douze milles[72] par jour, il fallait un mois pour la franchir ; d’ailleurs, lorsque la terre viendrait à manquer, la chaloupe permettrait d’achever le voyage sans fatigues, ni pour les chiens, ni pour les hommes.

Ceux-ci se portaient bien ; la santé générale était excellente ; l’hiver, quoique rude, se terminait dans de suffisantes conditions de bien-être ; chacun, après avoir écouté les avis du docteur, échappa aux maladies inhérentes à ces durs climats. En somme, on avait un peu maigri, ce qui ne laissait pas d’enchanter le digne Clawbonny ; mais on s’était fait le corps et l’âme à cette âpre existence, et maintenant ces hommes acclimatés pouvaient affronter les plus brutales épreuves de la fatigue et du froid sans y succomber.

Et puis enfin, ils allaient marcher au but du voyage, à ce pôle inaccessible, après quoi il ne serait plus question que du retour. La sympathie qui réunissait maintenant les cinq membres de l’expédition devait les aider à réussir dans leur audacieux voyage, et pas un d’eux ne doutait du succès de l’entreprise.

En prévision d’une expédition lointaine, le docteur avait engagé ses compagnons à s’y préparer longtemps d’avance et à « s’entraîner » avec le plus grand soin.

– Mes amis, leur disait-il, je ne vous demande pas d’imiter les coureurs anglais, qui diminuent de dix-huit livres après deux jours d’entraînement, et de vingt-cinq après cinq jours ; mais enfin il faut faire quelque chose afin de se placer dans les meilleures conditions possibles pour accomplir un long voyage. Or, le premier principe de l’entraînement est de supprimer la graisse chez le coureur comme chez le jockey, et cela, au moyen de purgatifs, de transpirations et d’exercices violents ; ces gentlemen savent qu’ils perdront tant par médecine, et ils arrivent à des résultats d’une justesse incroyable ; aussi, tel qui avant l’entraînement ne pouvait courir l’espace d’un mille sans perdre haleine, en fait facilement vingt-cinq après ! On a cité un certain Townsend qui faisait cent milles en douze heures sans s’arrêter.

– Beau résultat, répondit Johnson, et bien que nous ne soyons pas très gras, s’il faut encore maigrir…

– Inutile, Johnson ; mais, sans exagérer, on ne peut nier que l’entraînement n’ait de bons effets ; il donne aux os plus de résistance, plus d’élasticité aux muscles, de la finesse à l’ouïe, et de la netteté à la vue ; ainsi, ne l’oublions pas.

Enfin, entraînés ou non, les voyageurs furent prêts le 23 juin ; c’était un dimanche, et ce jour fut consacré à un repos absolu.

L’instant du départ approchait, et les habitants du Fort-Providence ne le voyaient pas arriver sans une certaine émotion. Cela leur faisait quelque peine au cœur de laisser cette hutte de neige, qui avait si bien rempli son rôle de maison, cette baie Victoria, cette plage hospitalière où s’étaient passés les derniers mois de l’hivernage. Retrouverait-on ces constructions au retour ? Les rayons du soleil n’allaient-ils pas achever de fondre leurs fragiles murailles ?

En somme, de bonnes heures s’y étaient écoulées ! Le docteur, au repas du soir, rappela à ses compagnons ces émouvants souvenirs, et il n’oublia pas de remercier le Ciel de sa visible protection.

Enfin l’heure du sommeil arriva. Chacun se coucha tôt pour se lever de grand matin. Ainsi s’écoula la dernière nuit passée au Fort-Providence.

Chapitre 19 MARCHE AU NORD

Le lendemain, dès l’aube, Hatteras donna le signal du départ. Les chiens furent attelés au traîneau ; bien nourris, bien reposés, après un hiver passé dans des conditions très confortables, ils n’avaient aucune raison pour ne pas rendre de grands services pendant l’été. Ils ne se firent donc pas prier pour revêtir leur harnachement de voyage.

Bonnes bêtes, après tout, que ces chiens Groënlandais ; leur sauvage nature s’était formée peu à peu ; ils perdaient de leur ressemblance avec le loup, pour se rapprocher de Duk, ce modèle achevé de la race canine : en un mot, ils se civilisaient.

Duk pouvait certainement demander une part dans leur éducation ; il leur avait donné des leçons de bonne compagnie et prêchait d’exemple ; en sa qualité d’Anglais, très pointilleux sur la question du « cant », il fut longtemps à se familiariser avec des chiens « qui ne lui avaient pas été présentés », et, dans le principe, il ne leur parlait pas ; mais, à force de partager les mêmes dangers, les mêmes privations, la même fortune, ces animaux de race différente frayèrent peu à peu ensemble. Duk, qui avait bon cœur, fit les premiers pas, et toute la gent à quatre pattes devint bientôt une troupe d’amis.

Le docteur caressait les Groënlandais, et Duk voyait sans jalousie ces caresses distribuées à ses congénères.

Les hommes n’étaient pas en moins bon état que les animaux ; si ceux-ci devaient bien tirer, les autres se proposaient de bien marcher.

On partit à six heures du matin, par un beau temps ; après avoir suivi les contours de la baie, et dépassé le cap Washington, la route fut donnée droit au nord par Hatteras ; à sept heures, les voyageurs perdaient dans le sud le cône du phare et le Fort-Providence.

Le voyage s’annonçait bien, et mieux surtout que cette expédition entreprise en plein hiver à la recherche du charbon ! Hatteras laissait alors derrière lui, à bord de son navire, la révolte et le désespoir, sans être certain du but vers lequel il se dirigeait ; il abandonnait un équipage à demi mort de froid ; il partait avec des compagnons affaiblis par les misères d’un hiver arctique ; lui, l’homme du nord, il revenait vers le sud ! Maintenant, au contraire, entouré d’amis vigoureux et biens portants, soutenu, encouragé, poussé, il marchait au pôle, à ce but de toute sa vie ! Jamais homme n’avait été plus près d’acquérir cette gloire immense pour son pays et pour lui-même !

Songeait-il à toutes ces choses si naturellement inspirées par la situation présente ? Le docteur aimait à le supposer, et n’en pouvait guère douter à le voir si ardent. Le bon Clawbonny se réjouissait de ce qui devait réjouir son ami, et, depuis la réconciliation des deux capitaines, de ses deux amis, il se trouvait le plus heureux des hommes, lui auquel ces idées de haine, d’envie, de compétition, étaient étrangères, lui la meilleure des créatures ! Qu’arriverait-il, que résulterait-il de ce voyage ? Il l’ignorait ; mais enfin il commençait bien. C’était beaucoup.

La côte occidentale de la Nouvelle-Amérique se prolongeait dans l’ouest par une suite de baies au-delà du cap Washington ; les voyageurs, pour éviter cette immense courbure, après avoir franchi les premières rampes de Bell-Mount, se dirigèrent vers le nord, en prenant par les plateaux supérieurs. C’était une notable économie de route ; Hatteras voulait, à moins que des obstacles imprévus de détroit et de montagne ne s’y opposassent, tirer une ligne droite de trois cent cinquante milles depuis le Fort-Providence jusqu’au pôle.

Le voyage se faisait aisément ; les plaines élevées offraient de vastes tapis blancs, sur lesquels le traîneau, garni de ses châssis soufrés, glissait sans peine, et les hommes, chaussés de leurs snow-shoes, y trouvaient une marche sûre et rapide.

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