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Ils se lèvent en riant pour passer à table. Paul assoit Emma à côté de lui. Louise se précipite dans la cuisine et elle est accueillie par des bravos en entrant dans le salon, son plat à la main. « Elle rougit », s’amuse Paul, d’une voix trop aiguë. Pendant quelques minutes, Louise est au centre de toute l’attention. « Comment a-telle fait cette sauce ? » « Quelle bonne idée le gingembre ! » Les invités vantent ses prouesses et Paul se met à parler d’elle — « notre nounou » — comme on parle des enfants et des vieillards, en leur présence. Paul sert le vin, et les conversations s’élèvent vite au-dessus de ces nourritures terrestres. Ils parlent de plus en plus fort. Ils écrasent leurs cigarettes dans leurs assiettes et les mégots ottent dans un reste de sauce. Personne n’a remarqué que Louise s’est retirée dans la cuisine qu’elle nettoie avec application.

Myriam lance à Paul un regard agacé. Elle fait semblant de rire à ses blagues, mais il l’énerve quand il est soûl. Il devient grivois, lourd, il perd le sens des réalités. Dès qu’il a trop bu, il lance des invitations à des gens odieux, fait des promesses qu’il ne peut pas tenir. Il dit des mensonges. Mais il n’a pas l’air de remarquer

l’agacement de sa femme. Il ouvre une autre bouteille de vin et tape sur le bord de la table. « Cette année, nous allons nous faire plaisir et emmener la nounou en vacances ! Il faut pro ter un peu de la vie, non ? » Louise, un tas d’assiettes dans les mains, sourit.

Le lendemain matin, Paul se réveille dans sa chemise froissée, les lèvres encore tachées par le vin rouge. Sous la douche, la soirée lui revient en mémoire, par bribes. Il se souvient de sa proposition et du regard noir de sa femme. Il se sent idiot et fatigué d’avance. Voilà une erreur qu’il faudra réparer. Ou faire comme s’il n’avait rien dit, oublier, laisser passer le temps. Il sait que Myriam va se moquer de lui, de ses promesses d’ivrogne. Elle va lui reprocher son inconséquence nancière et sa légèreté à l’égard de Louise. « À cause de toi, elle sera déçue mais comme elle est gentille, elle n’osera même pas le dire. » Myriam va lui mettre sous le nez leurs factures, le rappeler à la réalité. Elle va conclure : « C’est toujours comme ça quand tu bois. »

Mais Myriam n’a pas l’air fâchée. Couchée sur le canapé, Adam dans ses bras, elle lui lance un sourire d’une douceur étourdissante.

Elle porte un pyjama d’homme, trop grand pour elle. Paul s’assoit à côté d’elle, ronronne dans son cou dont il aime l’odeur de bruyère.

« C’est vrai ce que tu as dit hier ? Tu crois qu’on pourrait emmener Louise avec nous cet été ? demande-t-elle. Tu te rends compte ! Pour une fois, on aurait de vraies vacances. Et Louise sera tellement contente : qu’est-ce qu’elle ferait de mieux de toute façon ? »

Il fait si chaud que Louise a laissé la fenêtre de la chambre d’hôtel entrebâillée. Les cris des ivrognes et les crissements de freins des voitures ne réveillent pas Adam et Mila qui ron ent, la bouche ouverte, une jambe hors de leur lit. Ils ne passent qu’une nuit à Athènes et Louise partage une chambre minuscule avec les enfants, pour faire des économies. Ils ont ri toute la soirée. Ils se sont couchés tard. Adam était heureux, il a dansé dans la rue, sur les pavés d’Athènes, et des vieux ont tapé dans leurs mains, séduits par son ballet. Louise n’a pas aimé la ville dans laquelle ils ont marché tout l’après-midi malgré le soleil brûlant et les plaintes des petits. Elle ne pense qu’à demain, à leur voyage vers les îles dont Myriam a raconté aux enfants les légendes et les mythes.

Myriam ne raconte pas bien les histoires. Elle a une façon un peu agaçante d’articuler les mots compliqués et nit toutes ses phrases par « Tu vois ? », « Tu comprends ? ». Mais Louise a écouté, comme une enfant studieuse, l’histoire de Zeus et de la déesse de la guerre.

Comme Mila, elle aime Égée qui a donné son bleu à la mer, la mer sur laquelle elle va prendre le bateau pour la première fois.

Le matin, elle doit tirer Mila du lit. La petite dort encore quand la nounou la déshabille. Dans le taxi qui les mène au port du Pirée,

Louise essaie de se souvenir des dieux antiques mais il ne lui reste rien. Elle ne sait plus. Elle aurait dû noter sur son carnet euri les noms de ces héros. Elle y aurait repensé ensuite, seule. À l’entrée du port s’est formé un énorme embouteillage et des policiers tentent de régler la circulation. Il fait déjà très chaud et Adam, assis sur les genoux de Louise, est couvert de sueur. D’immenses pancartes lumineuses indiquent les quais où sont amarrés les bateaux en partance pour les îles, mais Paul n’y comprend rien. Il se met en colère, il s’agite. Le chau eur fait demi-tour, il hausse les épaules d’un air résigné. Il ne parle pas l’anglais. Paul le paie. Ils descendent de la voiture et courent vers leur embarcadère, en traînant les valises et la poussette d’Adam. L’équipage s’apprête à lever le pont quand il voit la famille, échevelée, perdue, faire de grands signes. Ils ont eu de la chance.

À peine installés, les enfants s’endorment. Adam, dans les bras de sa mère, et Mila, la tête posée sur les genoux de Paul. Louise veut voir la mer et le contour des îles. Elle monte sur le pont. Sur un banc, une femme est allongée sur le dos. Elle porte un maillot deux pièces : une ne culotte et un bandeau, rose, qui cache à peine ses seins. Elle a des cheveux blond platine et très secs mais ce qui frappe Louise, c’est sa peau. Une peau violacée, couverte de grosses taches brunes. Par endroits, à l’intérieur des cuisses, sur les joues, à la naissance des seins, son épiderme est cloqué, à vif, comme brûlé. Elle est immobile, telle une écorchée dont le cadavre serait o ert en spectacle à la foule.

Louise a le mal de mer. Elle prend de grandes inspirations. Elle ferme les yeux puis les ouvre, incapable de maîtriser le vertige. Elle ne peut pas bouger. Elle s’est assise sur un banc, dos au pont, loin

du bord. Elle voudrait regarder la mer, se souvenir de ça, de ces îles aux rives blanches que les touristes montrent du doigt. Elle voudrait graver dans sa mémoire le pro l des voiliers qui ont jeté l’ancre et des nes silhouettes qui plongent dans l’eau. Elle voudrait mais son estomac se soulève.

Le soleil est de plus en plus brûlant et ils sont nombreux, à présent, à observer la femme couchée sur le banc. Elle a mis un cache sur ses yeux et le vent l’empêche sans doute d’entendre les rires étou és, les commentaires, les murmures. Louise ne peut détacher son regard de ce corps décharné, dégoulinant de sueur.

Cette femme consumée par le soleil, comme un morceau de viande jeté sur des braises.

Paul a loué deux chambres dans une charmante pension de famille, située sur les hauteurs de l’île, au-dessus d’une plage très fréquentée par les enfants. Le soleil se couche et une lumière rose enveloppe la baie. Ils marchent vers Apollonia, la capitale. Ils empruntent des rues au bord desquelles poussent des cactus et des guiers. Au bout d’une falaise, un monastère accueille des touristes en maillot de bain. Louise est tout entière pénétrée par la beauté des lieux, par le calme des rues étroites, des petites places sur lesquelles dorment des chats. Elle s’assoit sur un muret, les pieds dans le vide, et elle regarde une vieille femme balayer la cour en face de chez elle.

Le soleil s’est enfoncé dans la mer, mais il ne fait pas sombre. La lumière a juste pris des teintes pastel et on voit encore les détails du paysage. Le contour d’une cloche sur le toit d’une église. Le pro l aquilin d’un buste en pierre. La mer et le rivage broussailleux semblent se détendre, plonger dans une torpeur langoureuse, s’o rir à la nuit, tout doucement, en se faisant désirer.

Après avoir couché les enfants, Louise ne peut pas dormir. Elle s’installe sur la terrasse qui prolonge sa chambre et d’où elle peut contempler la baie arrondie. Le soir le vent s’est mis à sou er, un vent marin, dans lequel elle devine le goût du sel et des utopies. Elle

s’est endormie là, sur un transat, avec un châle pour maigre couverture. L’aube froide la réveille et elle manque de pousser un cri devant le spectacle que le jour lui o re. Une beauté pure, simple, évidente. Une beauté à la portée de tous les cœurs.

Les enfants aussi se réveillent, enthousiastes. Ils n’ont que la mer à la bouche. Adam veut se rouler dans le sable. Mila veut voir les poissons. À peine leur petit déjeuner terminé, ils descendent à la plage. Louise porte une robe ample orange, une espèce de djellaba qui fait sourire Myriam. C’est Mme Rouvier qui la lui avait donnée, il y a des années de ça, après avoir précisé : « Oh, vous savez, je l’ai beaucoup mise. »

Les enfants sont prêts. Elle les a badigeonnés de crème solaire et ils se lancent à l’assaut du sable. Louise s’assoit contre un muret en pierre. À l’ombre d’un pin, les genoux repliés, elle observe le scintillement du soleil sur la mer. Elle n’a jamais rien vu d’aussi beau.

Myriam s’est allongée sur le ventre et elle lit un roman. Paul, qui a couru sept kilomètres avant le petit déjeuner, somnole. Louise fait des châteaux de sable. Elle sculpte une énorme tortue qu’Adam ne cesse de détruire et qu’elle reconstruit patiemment. Mila, accablée par la chaleur, la tire par le bras. « Viens, Louise, viens dans l’eau. »

La nounou résiste. Elle lui dit d’attendre. De rester assise. « Aide-moi à terminer ma tortue, tu veux ? » Elle montre à l’enfant des coquillages qu’elle a ramassés et qu’elle dispose délicatement sur la carapace de sa tortue géante.

Le pin ne su t plus à leur faire de l’ombre, et la chaleur est de plus en plus écrasante. Louise est trempée de sueur et elle n’a plus d’arguments à opposer à l’enfant qui la supplie à présent. Mila lui prend la main et Louise refuse de se mettre debout. Elle attrape le

poignet de la petite lle et la repousse si brutalement que Mila tombe. Louise crie : « Mais tu vas me lâcher, oui ! »

Paul ouvre les yeux. Myriam se précipite vers Mila, qui pleure et qu’elle console. Ils lancent à Louise des regards furieux et déçus. La nounou a reculé, honteuse. Ils s’apprêtent à lui demander des explications quand elle murmure, lentement : « Je ne vous l’avais pas dit mais je ne sais pas nager. »

Paul et Myriam restent silencieux. Ils font signe à Mila, qui s’est mise à ricaner, de se taire. Mila se moque : « Louise est un bébé. Elle ne sait même pas nager. » Paul est gêné et cette gêne le met en colère. Il en veut à Louise d’avoir traîné jusqu’ici son indigence, ses fragilités. De leur empoisonner la journée avec son visage de martyre. Il emmène les enfants nager et Myriam replonge le nez dans son livre.

La matinée est gâchée par la mélancolie de Louise et à table, sur la terrasse de la petite taverne, personne ne parle. Ils n’ont pas ni de manger quand, brusquement, Paul se lève et prend Adam dans ses bras. Il marche jusqu’à la boutique de la plage. Il revient en sautillant à cause du sable qui lui brûle la plante des pieds. Il tient à la main un paquet qu’il agite devant Louise et Myriam. « Voilà », dit-il. Les deux femmes ne répondent rien et Louise tend docilement les bras quand Paul lui en le un brassard au-dessus du coude. « Vous êtes tellement menue que même des brassards pour enfants vous vont ! »

Toute la semaine, Paul emmène Louise nager. Ils se lèvent tôt tous les deux, et pendant que Myriam et les enfants restent au bord de la petite piscine de la pension, Louise et Paul descendent sur la plage encore déserte. Dès qu’ils arrivent sur le sable mouillé, ils se tiennent par la main et marchent dans l’eau longtemps, avec l’horizon pour but. Ils avancent jusqu’à ce que leurs pieds se détachent doucement du sable et que leurs corps se mettent à otter.

À cet instant, Louise ressent invariablement une panique qu’elle est incapable de cacher. Elle pousse un petit cri qui indique à Paul qu’il doit serrer sa main encore plus fort.

Au début, il est gêné de toucher la peau de Louise. Quand il lui apprend à faire la planche, il pose une main sous sa nuque et l’autre sous ses fesses. Une pensée idiote, fugace, lui vient et il en rit intérieurement : « Louise a des fesses. » Louise a un corps qui tremble sous les mains de Paul. Un corps qu’il n’avait ni vu ni même soupçonné, lui qui rangeait Louise dans le monde des enfants ou dans celui des employés. Lui qui, sans doute, ne la voyait pas.

Pourtant, Louise n’est pas désagréable à regarder. Abandonnée aux paumes de Paul, la nounou ressemble à une petite poupée. Quelques mèches blondes s’échappent du bonnet de bain que Myriam lui a

acheté. Son léger hâle a fait ressortir de minuscules taches de rousseur sur ses joues et sur son nez. Pour la première fois, Paul remarque un léger duvet blond sur son visage, comme celui qui recouvre les poussins à peine nés. Mais il y a en elle quelque chose de prude et d’enfantin, une réserve, qui empêche Paul de nourrir pour elle un sentiment aussi franc que le désir.

Louise regarde ses pieds, qui s’enfoncent dans le sable et que l’eau vient lécher. Dans le bateau, Myriam leur a raconté que Sifnos devait sa prospérité passée aux mines d’or et d’argent que renferme son sous-sol. Et Louise se persuade que les paillettes qu’elle aperçoit à travers l’eau, sur les rochers, sont des éclats de ces métaux précieux. L’eau fraîche couvre ses cuisses. C’est son sexe maintenant qui est immergé. La mer est calme, translucide. Pas une vague ne vient surprendre Louise et éclabousser sa poitrine. Des bébés sont assis au bord de l’eau, sous l’œil serein de leurs parents. Quand l’eau arrive à sa taille, Louise ne peut plus respirer. Elle regarde, le ciel éclatant, irréel. Elle tâte, sur ses bras maigres, les brassards jaune et bleu sur lesquels sont dessinés une langouste et un triton. Elle xe Paul, suppliante. « Vous ne risquez rien, jure Paul. Tant que vous avez pied, vous ne risquez rien. » Mais Louise est comme pétri ée.

Elle sent qu’elle va basculer. Qu’elle va être happée par les profondeurs, la tête maintenue sous l’eau, les jambes battant dans le vide, jusqu’à l’épuisement.

Elle se souvient qu’enfant un de ses camarades de classe était tombé dans un étang, à la sortie de leur village. C’était une petite étendue d’eau boueuse, dont l’odeur en été l’écœurait. Les enfants venaient y jouer, malgré l’interdiction de leurs parents, malgré les moustiques qu’attirait l’eau stagnante. Là, plongée dans le bleu de la

mer Égée, Louise repense à cette eau noire et puante, et à l’enfant retrouvé le visage enfoui dans la fange. Devant elle, Mila bat des pieds. Elle flotte.

Ils sont ivres et ils grimpent les escaliers de pierre qui mènent sur la terrasse contiguë à la chambre des enfants. Ils rient et Louise s’accroche parfois au bras de Paul pour gravir une marche plus haute que les autres. Elle reprend son sou e, assise sous le bougainvillier vermeil, et elle regarde, en contrebas, la plage où de jeunes couples dansent en buvant des cocktails. Le bar organise une fête sur le sable. « Full moon party ». Paul traduit pour elle. Une fête pour la lune, pleine et rousse, dont ils ont toute la soirée commenté la beauté. Elle n’avait jamais vu une lune pareille, si belle qu’elle vaille la peine d’être décrochée. Une lune pas froide et grise, comme les lunes de son enfance.

Sur la terrasse du restaurant en hauteur, ils ont contemplé la baie de Sifnos et le coucher de soleil couleur de lave. Paul lui a fait remarquer les nuages taillés comme de la dentelle. Les touristes ont pris des photos et quand Louise a voulu se lever elle aussi en tendant son téléphone portable, Paul lui a délicatement appuyé la main sur le bras pour la faire rasseoir. « Ça ne donnera rien. Mieux vaut garder cette image en vous. »

Pour la première fois, ils dînent tous les trois. C’est la propriétaire de la pension qui a proposé de garder les enfants. Ils ont

le même âge que les siens et ils sont devenus inséparables depuis le début du séjour. Myriam et Paul ont été pris de court. Louise, bien sûr, a commencé par refuser. Elle a dit qu’elle ne pouvait pas les laisser seuls, qu’elle devait les coucher. Que c’était son travail. « Ils ont nagé toute la journée, ils n’auront aucun mal à dormir », a dit la propriétaire, dans un mauvais français.

Alors ils ont marché vers le restaurant, un peu gauches, silencieux. À table, ils ont tous bu plus que d’habitude. Myriam et Paul appréhendaient ce dîner. Que pouvaient-ils se dire ?

Qu’auraient-ils à se raconter ? Ils se sont convaincus que c’était la bonne chose à faire, que Louise serait contente. « Pour qu’elle sente qu’on valorise son travail, tu comprends ? » Alors ils parlent des enfants, du paysage, de la baignade du lendemain, des progrès de Mila en natation. Ils font la conversation. Louise voudrait raconter.

Raconter quelque chose, n’importe quoi, une histoire à elle mais elle n’ose pas. Elle inspire profondément, avance le visage pour dire quelque chose et recule, mutique. Ils boivent et le silence devient paisible, langoureux.

Paul, qui est assis à côté d’elle, passe alors son bras autour de ses épaules. L’ouzo le rend jovial. Il lui serre l’épaule de sa grande main, lui sourit comme à un vieil ami, un copain de toujours. Elle xe, enchantée, le visage de l’homme. Sa peau hâlée, ses grandes dents blanches, ses cheveux que le vent et le sel ont blondis. Il la secoue un peu comme on le fait à un ami timide ou qui a du chagrin, à quelqu’un dont on souhaite qu’il se détende ou qu’il se reprenne en main. Si elle osait, elle poserait sa main sur la main de Paul, elle la serrerait entre ses doigts maigres. Mais elle n’ose pas.

Elle est fascinée par l’aisance de Paul. Il plaisante avec le serveur

qui leur a o ert un digestif. En quelques jours, il a appris assez de mots en grec pour faire rire les commerçants ou obtenir une ristourne. Les gens le reconnaissent. Sur la plage, c’est avec lui que veulent jouer les autres enfants et il se plie en riant à leurs désirs. Il les porte sur son dos, il se jette dans l’eau avec eux. Il mange avec un appétit incroyable. Myriam a l’air de s’en agacer mais Louise trouve touchante cette gourmandise qui le pousse à commander toute la carte. « On prend ça aussi. Pour essayer, non ? » Et il saisit avec les doigts des morceaux de viande, de poivron ou de fromage qu’il engloutit avec une joie innocente.

Une fois rentrés sur la terrasse de l’hôtel, ils pou ent tous les trois dans leurs poings et Louise met un doigt sur ses lèvres. Il ne faut pas réveiller les petits. Cet éclair de responsabilité leur apparaît tout à coup ridicule. Ils jouent aux enfants, eux, que les considérations enfantines ont tenus toute la journée tendus vers le même objectif. Ce soir, une légèreté inhabituelle sou e sur eux.

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