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Elle acquiesça.

- Je le ferai, Monsieur Stern. Je ferai tout ce que vous voulez. Désormais, je suis à vous.

Trente-trois ans après cette scène, hanté par le remords et comme s’il demandait l’expiation, Stern avait emmené Gahalowood sur la terrasse de sa maison, là même où il avait exigé de Nola qu’elle se mette nue à la demande de son chauffeur, si el e voulait que l’amour de sa vie puisse rester en ville.

- Voilà, avait-il dit, voilà comment Nola est entrée dans ma vie. Le lendemain de sa venue, j’ai essayé de contacter Quebert pour lui dire qu’il pouvait rester à Goose Cove, mais impossible de le joindre. Pendant une semaine, il a été introuvable. J’ai même envoyé Luther faire le pied de grue devant chez lui. Il a finalement réussi à le rattraper alors qu’il s’apprêtait à quitter Aurora.

Gahalowood avait ensuite demandé :

- Mais cette requête de Nola ne vous a pas semblé étrange ? Ni le fait que cette gamine de quinze ans vive une relation avec un homme de plus de trente ans et vienne

vous demander une faveur pour lui ?

- Vous savez, sergent, elle parlait si bien de l’amour… Si bien que moi-même je ne pourrais jamais utiliser ses mots. Et puis, moi, j’aimais les hommes. Vous savez comment on percevait l’homosexualité à l’époque ? Encore maintenant d’ail eurs… La preuve, je m’en cache toujours. Au point que lorsque ce Goldman raconte que je suis un vieux sadique et sous-entend que j’ai abusé de Nola, je n’ose rien dire. J’envoie mes avocats au front, j’intente des procès, j’essaie de faire interdire le livre. Il suffirait que je dise à l’Amérique que je suis de l’autre bord. Mais nos concitoyens sont encore très prudes et j’ai une réputation à protéger.

Gahalowood avait recentré la conversation.

- Votre arrangement avec Nola, comment cela se passait ?

- Luther s’occupait d’aller la chercher à Aurora. Je disais que je ne voulais rien savoir de tout ça. J’exigeais qu’il prenne sa voiture personnelle, une Mustang bleue, et non pas la Lincoln noire de service. Aussitôt que je le voyais partir pour Aurora, je renvoyais tous les employés de maison. Je voulais que personne ne soit là. J’avais trop honte. De même que je ne voulais pas que cela se passe dans la véranda qui servait d’atelier à Luther habituellement : j’avais trop peur que quelqu’un le surprenne. Alors il installait Nola dans un petit salon jouxtant mon bureau. Je venais la saluer à son arrivée et lorsqu’el e repartait. C’était ma condition pour Luther : je voulais m’assurer que tout se passait bien. Ou disons pas trop mal. Je me souviens que la première fois, elle était sur un canapé recouvert d’un drap blanc. Elle était déjà nue, tremblante, mal à l’aise, effrayée. Je lui avais serré la main et el e était glacée. Je ne restais jamais dans la pièce, mais j’étais toujours à proximité, pour m’assurer qu’il ne lui faisait aucun mal. J’ai même, par la suite, caché un interphone dans la pièce. Je le mettais en marche, et je pouvais ainsi écouter ce qui se passait.

- Et ?

- Rien. Luther ne prononçait pas un mot. C’était un taiseux de nature, à cause de ses mâchoires brisées. Il la peignait. C’est tout.

- Il ne l’a pas touchée, alors ?

- Jamais ! Je vous le dis, je ne l’aurais pas toléré.

- Combien de fois Nola est-elle venue ?

- Je ne sais pas. Une dizaine peut-être.

- Et combien de tableaux a-t-il peint ?

- Un seul.

- Celui que nous avons saisi ?

- Oui.

C’était donc uniquement grâce à Nola que Harry avait pu rester à Aurora. Mais pourquoi Luther Caleb avait-il ressenti le besoin de la peindre ? Et pourquoi Stern, qui, d’après ce qu’il disait, était prêt à laisser Harry disposer de la maison sans contrepartie, avait-il soudain accédé à la requête de Caleb et contraint Nola à poser nue ? C’étaient des questions auxquel es Gahalowood n’avait pas de réponse.

- Je lui ai demandé, m’expliqua-t-il. Je lui ai dit : « Monsieur Stern, il y a un détail que je ne saisis toujours pas : pourquoi Luther voulait-il peindre Nola ? Vous disiez tout à l’heure que cela lui permettait de prendre son pied : vous voulez dire que cela lui procurait du plaisir sexuel ? Vous avez fait mention d’une Eleanore également, s’agit-il de son ancienne petite amie ? » Mais il a clos le sujet. Il a dit que c’était une histoire

compliquée et que je savais ce que j’avais besoin de savoir, que le reste appartenait au passé. Et il a levé l’entretien. J’étais là officieusement, je ne pouvais pas l’obliger à répondre.

- Jenny nous a raconté que Luther voulait la peindre, el e aussi, rappelai-je à Gahalowood.

- Alors ce serait quoi ? Une espèce de maniaque au pinceau ?

- Je n’en sais rien, sergent. Vous pensez que Stern a accédé à la requête de Caleb parce qu’il était attiré par lui ?

- L’hypothèse m’a traversé l’esprit et j’ai posé la question à Stern. Je lui ai demandé si entre lui et Caleb il y avait quelque chose. Il a répondu très calmement que pas du tout. « Je suis le très fidèle compagnon de Monsieur Sylford depuis le début des années 1970, m’a-t-il dit. Je n’ai jamais rien ressenti pour Luther Caleb si ce n’est de la pitié, raison pour laquel e je l’ai engagé. C’était un pauvre zonard de Portland, il avait été gravement défiguré et handicapé après un violent passage à tabac. Une vie foutue sans raison. Il s’y connaissait en mécanique et j’avais justement besoin de quelqu’un pour s’occuper de mon parc de voitures et me servir de chauffeur. Rapidement, nous avons tissé des liens amicaux. C’était un chouette type, vous savez. Je peux dire que nous avons été amis. » Vous voyez, l’écrivain, ce qui me taraude, c’est justement ces liens dont il parle et qu’il décrit comme amicaux. Mais j’ai l’impression qu’il y a plus que ça. Et ce n’est pas sexuel non plus : je suis certain que Stern ne nous ment pas lorsqu’il dit qu’il n’avait pas d’attirance pour Caleb. Non, ce seraient des liens plus… malsains.

C’est l’impression que j’ai eue lorsque Stern m’a décrit la scène où il accède à la requête de Caleb et demande à Nola de poser nue. Ça lui donnait envie de vomir, et pourtant il le fait quand même, comme si Caleb avait une espèce de pouvoir sur lui.

D’ail eurs, ça n’a pas échappé à Sylford non plus. Il n’avait pas pipé mot jusque-là, il s’était contenté d’écouter, mais lorsque Stern a raconté l’épisode de la petite, terrifiée et toute nue, qu’il venait saluer avant les séances de peinture, il a fini par dire : « Mais Eli’, comment ? Comment ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Pourquoi tu ne m’as jamais rien dit ? »

- Et à propos de la disparition de Luther ? demandai-je. En avez-vous parlé à Stern ?

- Du calme, l’écrivain, j’ai gardé le meil eur pour la fin. Sylford, sans le vouloir, lui a mis la pression. Il était chamboulé et il en a perdu ses réflexes d’avocat. Il s’est mis à beugler : « Mais Eli’, enfin, explique-toi ! Pourquoi ne m’as-tu jamais rien dit ? Pourquoi as-tu gardé le silence pendant toutes ces années ? » Le Eli’ en question n’en menait pas large, comme vous pouvez vous en douter, et il a rétorqué : « J’ai gardé le silence, j’ai gardé le silence mais je n’ai pas oublié ! J’ai conservé ce tableau pendant trente-trois ans ! Tous les jours, j’allais dans l’atelier, je m’asseyais sur le canapé et je la regardais. Je devais soutenir son regard, sa présence. Elle me fixait, avec ce regard de fantôme ! C’était ma punition ! »

Gahalowood avait alors évidemment demandé à Stern de quel e punition il parlait.

- Ma punition pour l’avoir un peu tuée ! s’était écrié Stern. Je crois qu’en laissant Luther la peindre nue, j’ai réveillé en lui des démons terrifiants… Je… j’avais dit à cette petite qu’el e devait poser nue pour Luther, et j’avais créé une espèce de connexion entre eux deux. Je crois que je suis peut-être indirectement responsable de la mort de

cette gentil e petite gamine !

- Que s’est-il passé, Monsieur Stern ?

Stern était d’abord resté silencieux; il avait tourné en rond, visiblement incapable de savoir s’il devait raconter ce qu’il savait. Puis il s’était décidé à parler :

- J’ai vite réalisé que Luther était fou amoureux de Nola et qu’il voulait comprendre pourquoi Nola était, el e, fol e amoureuse de Harry. Ça le rendait malade.

Et il est devenu complètement obsédé par Quebert, au point qu’il s’est mis à se cacher dans les bois autour de la maison de Goose Cove pour l’espionner. Je le voyais multiplier les allées et venues vers Aurora, je savais qu’il passait parfois des journées entières là-bas. J’avais l’impression de perdre le contrôle de la situation, alors, un jour, je l’ai suivi. J’ai trouvé sa voiture garée dans les bois, près de Goose Cove. J’ai laissé la mienne plus loin, à l’abri des regards, et j’ai inspecté les bois : c’est alors que je l’ai vu, sans que lui me voie. Il était dissimulé derrière des fourrés, il épiait la maison. Je ne me suis pas montré, mais je voulais lui donner une bonne leçon, qu’il sente passer le vent du boulet. J’ai décidé de me pointer à Goose Cove, comme si je faisais une visite impromptue à Harry. J’ai donc rejoint la route 1 et je suis arrivé par le chemin de Goose Cove, l’air de rien. Je me suis directement dirigé vers la terrasse, j’ai fait du bruit. J’ai hurlé : « Bonjour ! Bonjour, Harry ! » pour être sûr que Luther m’entende. Harry a dû me prendre pour un fou, d’ail eurs je me souviens qu’il a hurlé comme un beau diable lui aussi. Je lui ai fait croire que j’avais laissé ma voiture à Aurora et je lui ai proposé de le ramener en ville et que nous déjeunions ensemble. Il a heureusement accepté et nous sommes partis. Je me suis dit que ça laisserait le temps à Luther de déguerpir et qu’il en serait quitte pour une bonne frayeur. Nous sommes allés déjeuner au Clark’s. Là, Harry Quebert m’a raconté que l’avant-veille, à l’aube, Luther l’avait ramené d’Aurora à Goose Cove après qu’il ait eu une mauvaise crampe pendant son jogging. Harry m’a demandé ce que faisait Luther à une heure pareille à Aurora. J’ai changé de sujet de conversation, mais j’étais très préoccupé : il fallait que cela cesse. Ce soir-là, j’ai ordonné à Luther de ne plus al er à Aurora, qu’il aurait des ennuis s’il continuait. Mais il a continué malgré tout. Alors, environ une ou deux semaines plus tard, je lui ai dit que je ne voulais plus qu’il peigne Nola. Nous avons eu une dispute terrible. C’était le vendredi 29 août 1975. Il m’a dit qu’il ne pouvait plus travail er pour moi, il est parti en claquant la porte. Je pensais qu’il avait agi sur le coup de la mauvaise humeur et qu’il reviendrait. Le lendemain, ce fameux 30 août 1975, je suis parti très tôt pour des rendez-vous privés, mais à mon retour, en fin de journée, en constatant que Luther n’était toujours pas rentré, j’ai eu un drôle de pressentiment. Je suis parti à sa recherche. J’ai pris la route d’Aurora, il devait être vers vingt heures. En chemin, je me suis fait dépasser par une colonne de voitures de police. Arrivé en ville, je découvris qu’il y régnait une agitation terrible : les gens disaient que Nola avait disparu. Je me suis fait indiquer l’adresse des Kel ergan, bien qu’il m’aurait suffi de suivre le flot des curieux et des véhicules d’urgence qui y confluaient. Je suis resté un moment devant leur maison, au milieu des badauds, incrédule, à contempler l’endroit où vivait cette gentille fil e, cette petite bâtisse tranquille, en planches blanches, avec cette balançoire accrochée à un épais cerisier. Je suis rentré à Concord lorsque la nuit fut tombée, et je suis allé dans la chambre de Luther pour voir s’il était là, mais personne évidemment.

Le tableau de Nola qui me dévisageait. Il était terminé, le tableau était terminé. Je l’ai pris avec moi, je l’ai accroché dans l’atelier. Il n’en a plus jamais bougé. J’ai attendu

Luther toute la nuit, en vain. Le lendemain, son père m’a téléphoné : il le cherchait aussi. Je lui ai dit que son fils était parti l’avant-veille, sans donner plus de précision. À

personne d’ail eurs. Je me suis tu. Parce que désigner Luther comme coupable de l’enlèvement de Nola Kellergan, c’était comme être coupable un peu moi-même. J’ai guetté Luther pendant trois semaines; tous les jours, je partais à sa recherche. Jusqu’à ce que son père me prévienne qu’il s’était tué dans un accident de la route.

- Êtes-vous en train de me dire que vous pensez que c’est Luther Caleb qui a tué Nola ? avait demandé Gahalowood.

Stern avait hoché la tête.

- Oui, sergent. Ça fait trente-trois ans que je le pense.

Les propos de Stern que me rapporta Gahalowood me laissèrent d’abord sans voix. J’allai nous chercher deux autres bières dans le minibar et je branchai mon enregistreur.

- Il faut que vous me répétiez tout ça, sergent, ai-je dit. Je dois vous enregistrer, pour mon livre.

Il accepta de bonne grâce.

- Si vous voulez, l’écrivain.

J’enclenchai l’appareil. C’est à ce moment-là que le téléphone de Gahalowood sonna. Il répondit, et l’enregistrement témoigne de ses propos : « Vous êtes sûr ? Dit-il.

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