Il avait dit : « Il y a, quelque part, caché en Amérique, un écrivain qui s’efforce de rétablir la vérité à propos de ce qui s’est passé en 1975, à Aurora. Et parce que la vérité dérange, il y a quelqu’un qui est prêt à tout pour le faire taire. » Le lendemain, un article du New York Times titrait : Qui veut la peau de Marcus Goldman ? Ma mère l’avait évidemment lu et m’avait aussitôt téléphoné :
- Pour l’amour du Ciel, Markie, où te trouves-tu ?
- À Concord, au Regent’s. Suite 208.
- Mais tais-toi ! s’était-elle écriée. Je ne veux pas le savoir !
- Enfin, Maman. C’est toi qui…
- Si tu me le dis, je ne pourrai pas m’empêcher de le dire au boucher, qui le dira à son commis, qui le répétera à sa mère, qui n’est autre que la cousine du concierge du lycée de Felton et qui ne pourra pas s’empêcher de le lui dire, et ce diable ira le raconter au proviseur qui en parlera dans la salle des maîtres, et bientôt tout Newark saura que mon fils est dans la suite 208, au Regent’s de Concord, et celui-qui-veut-ta-peau viendra t’égorger dans ton sommeil. Pourquoi une suite d’ailleurs ? As-tu une petite amie ? Vas-tu te marier ?
Elle avait alors appelé mon père, je l’avais entendue crier : « Nelson, Viens écouter le téléphone ! Markie va se marier ! »
- Maman, je ne vais pas me marier. Je suis tout seul dans ma suite.
Gahalowood, qui était dans ma chambre où il venait de se faire servir un copieux petit déjeuner, n’avait rien trouvé de mieux à faire que de s’écrier : « Hé ! Moi je suis là ! »
- Qui est-ce ? avait aussitôt demandé ma mère.
- Personne.
- Ne dis pas personne ! J’ai entendu une voix d’homme. Marcus, je vais te poser une question médicale extrêmement importante, et il faudra que tu sois honnête avec cel e qui t’a porté dans son ventre pendant neuf mois : y a-t-il un homme homosexuel secrètement caché dans ta chambre ?
- Non, Maman. Il y a le sergent Gahalowood, qui est policier. Il enquête avec moi et il se charge également de faire exploser ma note de service d’étage.
- Est-il nu ?
- Quoi ? Mais bien sûr que non ! C’est un policier, Maman ! Nous travaillons ensemble.
- Un policier… Tu sais, je ne suis pas née de la dernière pluie : il y a cette chose musicale, des hommes qui chantent ensemble, il y a un motard tout en cuir, un plombier, un Indien et un policier…
- Maman, lui, c’est un véritable officier de police.
- Markie, au nom de nos ancêtres qui ont fui les pogroms et si tu aimes ta gentille Mama, chasse cet homme nu de ta chambre.
- Je ne vais chasser personne, Maman.
- Oh, Markie, pourquoi me téléphones-tu, si c’est pour me faire de la peine ?
- C’est toi qui m’appelles, Maman.
- C’est parce que ton père et moi nous avons peur de ce criminel fou qui te poursuit.
- Personne ne me poursuit. La presse exagère.
- Je regarde tous les matins et tous les soirs dans la boîte aux lettres.
- Pourquoi ?
- Pourquoi ? Pourquoi ? Il me demande pourquoi ? Mais à cause d’une bombe !
- Je ne pense pas que quelqu’un va mettre une bombe chez vous, Maman.
- Nous mourrons d’une bombe ! Et sans jamais avoir connu la joie d’être grands-parents. Voilà, es-tu content de toi ? Figure-toi que l’autre jour, ton père a été suivi par une grosse voiture noire jusque devant la maison. Papa s’est précipité à l’intérieur et la voiture est al ée se garer dans la rue, juste à côté.
- Avez-vous appelé la police ?
- Évidemment. Deux voitures sont arrivées, sirènes hurlantes.
- Et ?
- C’était les voisins. Ces diables ont acheté une nouvelle voiture ! Sans même nous prévenir. Une nouvelle voiture, tsss ! Alors que tout le monde dit qu’il va y avoir une immense crise économique, eux, ils achètent une nouvelle voiture ! C’est pas suspect, ça ? Je pense que le mari trempe dans le trafic de drogue ou quelque chose comme ça.
- Maman, qu’est-ce que tu racontes comme idioties ?
- Je sais ce que je dis ! Et ne parle pas comme ça à ta pauvre mère qui risque de mourir d’une minute à l’autre d’un attentat à la bombe ! Où en est ton livre ?
- Il avance très bien. Je dois l’avoir terminé dans quatre semaines.
- Et comment finit-il ? C’est peut-être celui qui a tué la petite qui veut te tuer.
- C’est mon seul problème : je ne sais toujours pas comment le livre se termine.
L’après-midi du lundi 21 juillet, Gahalowood débarqua dans ma suite alors que j’étais en train d’écrire le chapitre où Nola et Harry décident de partir ensemble pour le Canada. Il était dans un état d’excitation avancé, et commença par se servir une bière dans le minibar.
- J’étais chez Elijah Stern, me dit-il.
- Stern ? Sans moi ?