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- Que vas-tu faire de ça ? demanda-t-il à sa femme.

- J’en sais rien.

- Vas-tu alerter la police ?

- La police ? Non, mon Bobbo. Pas pour le moment. Je ne veux pas que tout le monde sache que ce criminel de Quebert préfère une fillette à notre merveilleuse Jenny. Où est-elle d’ailleurs ? Dans sa chambre ?

- Figure-toi que ce jeune officier de police, Travis Dawn, est venu ici peu après que tu sois partie, pour l’inviter au bal de l’été. Ils sont partis dîner à Montburry. Jenny s’est déjà trouvé un autre cavalier pour le bal, si ce n’est pas beau, ça…

- Pas beau, pas beau, mais c’est toi qui n’es pas beau, mon pauvre Bobbo !

Allez, fiche-moi le camp maintenant ! Je dois cacher cette feuil e quelque part, et personne ne doit savoir où.

Bobbo s’exécuta et s’en alla finir son journal sous le porche. Mais il ne parvint pas à lire, l’esprit trop occupé par ce que sa femme avait découvert. Harry, le grand écrivain, écrivait donc des mots d’amour pour une fil ette de la moitié de son âge. La gentille petite Nola. C’était très dérangeant. Devait-il prévenir Nola ? Lui dire que ce Harry était tout empli de drôles de pulsions et qu’il pouvait peut-être même être dangereux ? Ne fallait-il pas prévenir la police, afin qu’un médecin l’examine et le soigne ?

Une semaine après cet épisode eut lieu le bal de l’été. Robert et Tamara Quinn se tenaient dans un coin de la sal e, à siroter un cocktail sans alcool, lorsqu’ils aperçurent Harry Quebert parmi les convives. « Regarde, Bobbo, siffla Tamara, voici le pervers ! » Ils l’observèrent longuement, tandis que Tamara poursuivait son flot d’injures que seul Robert pouvait entendre.

- Que vas-tu faire avec cette feuille ? finit par demander Robert.

- Je n’en sais rien. Mais ce qui est sûr, c’est que je vais commencer par lui faire payer ce qu’il me doit. Il en a pour 500 dollars d’ardoise au restaurant !

Harry semblait mal à l’aise; il se fit servir à boire au bar pour se donner un peu de contenance, puis se dirigea vers les toilettes.

- Le voilà qui va aux waters, dit Tamara. Regarde, regarde, Bobbo ! Sais-tu ce qu’il va faire ?

- La grosse commission ?

- Mais non, il va s’astiquer le manche en pensant à cette fil ette !

- Quoi ?

- Tais-toi, Bobbo. Tu jacasses trop, je ne veux plus t’entendre. Et reste ici, veux-tu.

- Où vas-tu ?

- Ne bouge pas. Et admire le travail.

Tamara posa son verre sur une table haute et se dirigea subrepticement vers les toilettes où venait de pénétrer Harry Quebert pour s’y engouffrer à son tour. Elle en ressortit après quelques instants et se dépêcha de rejoindre son mari.

- Qu’as-tu fait ? demanda Robert.

- Tais-toi, je t’ai dit ! l’invectiva sa femme en reprenant son verre. Tais-toi, tu vas nous faire prendre !

Amy Pratt annonça à ses invités qu’ils pouvaient passer à table, et la foule convergea lentement vers les tables. À cet instant, Harry sortit des toilettes. Il était en sueur, paniqué, et se mêla aux convives.

- Regarde-le détaler comme un lapin, murmura Tamara. Il panique.

- Mais enfin, qu’as-tu fait ? insista Robert.

Tamara sourit. Discrètement, el e faisait jouer dans sa main le bâton de rouge à lèvres qu’elle venait d’utiliser sur le miroir des toilettes. Elle répondit simplement :

- Disons que je lui ai laissé un petit message dont il se souviendra.

Assis au fond du Clark’s, j’écoutais, stupéfait, le récit de Robert Quinn.

- Alors le message sur le miroir, c’était votre femme ? dis-je.

- Oui. Harry Quebert est devenu son obsession. Elle ne me parlait plus que de ce feuillet, el e disait qu’el e allait faire tomber Harry pour de bon. Elle disait que bientôt les titres des journaux annonceraient : Le grand écrivain est un grand pervers. Elle a fini par en parler au Chef Pratt. Quinze jours après le bal, environ. Elle lui a tout raconté.

- Comment le savez-vous ? demandai-je.

Il hésita un instant avant de répondre :

- Je le sais parce que… C’est Nola qui me l’a dit.

Mardi 5 août 1975

Il était dix-huit heures lorsque Robert rentra de la ganterie. Comme toujours, il gara sa vieil e Chrysler dans l’allée, puis, lorsqu’il eut coupé le moteur, il ajusta son chapeau dans le rétroviseur et fit le regard que l’acteur Robert Stack faisait lorsque son personnage d’Eliot Ness à la télévision s’apprêtait à flanquer une raclée monumentale à des membres de la pègre. Il traînait souvent de la sorte dans sa voiture : il y avait longtemps qu’il n’avait plus beaucoup d’entrain à rentrer chez lui. Parfois, il faisait un détour pour retarder un peu ce moment; parfois il s’arrêtait chez le marchand de glaces.

Lorsqu’il finit par s’extirper de l’habitacle, il lui sembla percevoir une voix qui l’appelait de derrière les taillis. Il se retourna, chercha un instant autour de lui, puis remarqua Nola, dissimulée entre des rhododendrons.

- Nola ? interrogea Robert. Bonjour, mon petit, comment vas-tu ?

Elle chuchota :

- Il faut que je vous parle, Monsieur Quinn. C’est très important.

Il continua à parler à haute et intelligible voix :

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