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pièces fut tendue, notamment parce qu’à mesure qu’il en égrenait les documents, il répétait : « Hou là là, c’est pas bon. C’est même pas bon du tout. » Je rétorquais :

« C’est pas bon, ça veut rien dire : c’est vous qui devez être bon, non ? » Et lui me répondait par des mimiques perplexes qui amenuisaient ma confiance en ses talents d’avocat.

Le dossier regroupait des photographies, des témoignages, des rapports, des expertises, des comptes rendus d’interrogatoires. Une partie des clichés datait de 1975 : des photos de la maison de Deborah Cooper, puis son corps allongé sur le sol de la cuisine, baignant dans une mare de sang, et enfin l’endroit dans la forêt où avaient été retrouvés les traces de sang, les cheveux et les lambeaux de vêtement. On faisait ensuite un voyage dans le temps de trente-trois ans pour se retrouver à Goose Cove, où l’on pouvait voir, gisant au fond du trou creusé par la police, un squelette en position fœtale. Par endroits, des lambeaux de chair encore accrochés aux os et quelques cheveux clairsemés sur le haut du crâne; il était vêtu d’une robe à moitié décomposée et à côté se trouvait le fameux sac en cuir. J’eus un haut-le-cœur.

- C’est Nola ? demandai-je.

- C’est el e. Et c’est dans ce sac qu’était le manuscrit de Quebert. Il y avait le manuscrit et rien d’autre. Le procureur dit qu’une gamine qui fugue ne s’enfuit pas sans rien.

Le rapport d’autopsie, lui, révélait une importante fracture au niveau du crâne.

Nola avait reçu un coup d’une violence inouïe, qui avait fracassé l’os occipital. Le médecin légiste estimait que le meurtrier avait utilisé un bâton très lourd, ou un objet similaire, comme une batte ou une matraque.

Nous prîmes connaissance ensuite de diverses dépositions, celles des jardiniers, de Harry et surtout d’une, signée de la main de Tamara Quinn, qui y affirmait au sergent Gahalowood avoir découvert à l’époque que Harry s’était entiché de Nola mais que la preuve qu’el e détenait s’était volatilisée ensuite et que, par conséquent, personne ne l’avait jamais crue.

- Son témoignage est crédible ? m’inquiétai-je.

- Face à des jurés, oui, estima Roth. Et nous n’avons rien pour contre-attaquer, Harry lui-même a reconnu pendant son interrogatoire avoir eu une relation avec Nola.

- Bon alors, qu’est-ce qu’on a dans ce dossier qui ne l’accable pas ?

Là-dessus, Roth avait son idée : il fouil a parmi les documents et me tendit un épais paquet de feuilles reliées entre elles par un morceau de bande adhésive.

- Une copie du fameux manuscrit, me dit-il.

La page de couverture était vierge, sans titre; apparemment Harry n’avait eu l’idée du titre que plus tard. Mais il y avait, au centre de celle-ci, trois mots qu’on pouvait lire distinctement, écrits à la main avec de l’encre bleue : Adieu, Nola chérie

Roth s’embarqua dans une longue explication. Il estimait qu’utiliser ce manuscrit comme principale preuve à charge contre Harry était une erreur grossière de la part du bureau du procureur : une expertise graphologique allait avoir lieu et aussitôt que les résultats seraient connus, il était convaincu qu’ils innocenteraient Harry - le dossier s’effondrerait comme un château de cartes.

- C’est la pièce maîtresse de ma défense, me dit-il triomphal. Avec un peu de chance, on n’aura même pas besoin d’aller jusqu’au procès.

- Mais que se passerait-il si l’écriture était authentifiée comme étant celle de Harry ? Demandai-je.

Roth me dévisagea avec un drôle d’air :

- Pourquoi diable le serait-elle ?

- Je dois vous informer de quelque chose de grave : Harry m’a raconté qu’il était parti une journée à Rockland avec Nola, et qu’el e lui avait demandé de l’appeler Nola chérie.

Roth devint blême. Il me dit : « Vous comprenez que si, d’une façon ou d’une autre, il est l’auteur de ce mot… » et avant même de terminer sa phrase, il rassembla ses affaires et m’entraîna sur la route de la prison d’État. Il était hors de lui.

À peine entré dans la sal e de visite, Roth brandit le manuscrit sous le nez de Harry et s’écria :

- Elle vous a dit de l’appeler Nola chérie ?

- Oui, répondit Harry en baissant la tête.

- Mais vous voyez ce qui est écrit là ? Sur la première page de votre foutu manuscrit ! Quand comptiez-vous me le dire, bordel de merde ?

- Je vous assure que ce n’est pas mon écriture. Je ne l’ai pas tuée ! Je n’ai pas tué Nola ! Nom de Dieu, vous le savez, non ? Vous le savez que je ne suis pas un tueur de gamine !

Roth se calma et s’assit.

- Nous le savons, Harry, dit-il. Mais toutes ces coïncidences sont troublantes. La fugue, ce mot… Et moi je dois défendre vos fesses face à un jury de bons citoyens qui auront envie de vous condamner à mort avant même l’ouverture du procès.

Harry avait très mauvaise mine. Il se leva et tourna en rond dans la petite salle en béton.

- Le pays est en train de se lever contre moi. Bientôt, tout le monde voudra ma peau. Si ce n’est pas déjà le cas… Les gens emploient à mon égard des mots dont ils ne saisissent pas la portée : pédophile, pervers, détraqué. Ils salissent mon nom et brûlent mes livres. Mais vous devez savoir, et je vous le répète pour la dernière fois : je ne suis pas une espèce de maniaque. Nola a été la seule femme que j’aie jamais aimée et pour mon malheur, elle n’avait que quinze ans. L’amour, merde, ça ne se commande pas !

- Mais on parle d’une fille de quinze ans ! s’emporta Roth.

Harry eut une mine dépitée. Il se tourna vers moi.

- Vous pensez la même chose, Marcus ?

- Harry, ce qui me trouble, c’est que vous ne m’aviez jamais parlé de tout ça…

Depuis dix ans que nous sommes amis, vous n’avez jamais mentionné Nola. Je pensais que nous étions proches.

- Mais au nom du Ciel, qu’aurais-je dû vous dire ? « Ah, mon cher Marcus, au fait, je ne vous ai jamais dit, mais en 1975, en débarquant à Aurora, je suis tombé amoureux d’une fille de quinze ans, une gamine qui a changé ma vie mais qui a disparu trois mois plus tard, un soir de la fin de l’été, et je ne m’en suis jamais vraiment remis… » ?

Il donna un coup de pied dans une des chaises en plastique et l’envoya valser contre un mur.

- Harry, dit Roth. Si ce n’est pas vous qui avez écrit ce mot et je vous crois quand vous le dites, avez-vous une idée de qui cela peut être ?

- Non.

- Qui savait pour vous et Nola ? Tamara Quinn affirme qu’elle s’en doutait depuis toujours.

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