« Un jour, ça te retravaillera ! » Et moi, tĂȘtue, enfermĂ©e dans mes idĂ©es noires, je lui assurais le contraire.
Je somnolai par intermittence. La porte dâentrĂ©e claqua au loin. Postman Pat leva la tĂȘte, je lui fis signe de ne pas bouger. Sa queue battait le sol, son maĂźtre Ă©tait de retour. Edward sâarrĂȘta devant la porte de sa chambre ouverte et nous trouva, son fils et moi, dans son lit. Il resta un long instant sur le seuil Ă nous regarder. Puis il sâapprocha de nous. Il posa ses mains et un genou sur le matelas.
â Je vais le remettre dans son lit, me dit-il Ă voix basse.
â Non, laisse-le, tu vas le rĂ©veiller, il est bien, lĂ .
â Ce nâest pas sa place.
â En temps ordinaire, jâaurais Ă©tĂ© dâaccord avec toi ! Mais lĂ , il a tous les droits.
Je me redressai. Nous nous défiùmes du regard. Je ne céderais pas.
â Papa, ronchonna Declan dans son sommeil.
Notre attention se porta sur lui, qui entrouvrit les yeux, se détacha de moi et nous regarda.
â Tu vas retourner dans ta chambre, insista Edward. Laisse Diane tranquille, je vais rester avec toi.
Declan trouva une nouvelle position et se frotta le visage contre lâoreiller.
â Dormir tous les trois, papaâŠ
Je ne mâattendais pas ça, Edward non plus ! Declan lui attrapa la main.
â Viens, papa, murmura-t-il.
Edward plongea ses yeux dans les miens, je me rallongeai et lui souris. Il lĂącha la main de son fils et sâassit au bord du lit, dos Ă moi. Il appuya ses coudes sur les genoux et se prit la tĂȘte entre les mains. Je savais ce quâil pensait, je pensais la mĂȘme chose : nous voulions protĂ©ger et rassurer cet enfant, ce qui impliquait de nous faire souffrir nous-mĂȘmes et de nous mettre dans une situation impossible. Intenable.
â Tu es sĂ»re ? chuchota-t-il sans me regarder.
â Viens.
Il se leva, fit le tour du lit pour Ă©teindre la lumiĂšre. Je lâentendis Ă©voluer dans la pĂ©nombre puis se dĂ©shabiller avant de nous rejoindre. Le matelas sâaffaissa, la couette bougea. Je me tournai sur le cĂŽtĂ©, face Ă lui. Ma vue sâacclimata Ă lâobscuritĂ©, je le distinguai : il me regardait, un bras repliĂ© derriĂšre sa tĂȘte. Je mâendormis sans le quitter des yeux et sans mâen rendre compte ; jâĂ©tais bien, en paix, avec un petit homme dans les bras et un grand qui me faisait oublier tout ce qui nâĂ©tait pas lui.
â 10 â
Quelquâun me tapotait le bras. Jâentrouvris un Ćil : Declan cherchait Ă me rĂ©veiller. CâĂ©tait rĂ©ussi.
Je sentais un poids sur mon ventre ; le bras dâEdward nous clouait au matelas, son fils et moi, alors que son propriĂ©taire dormait profondĂ©ment.
â On va aller prendre le petit dĂ©jeuner, chuchotai-je Ă Declan. Pas de bruit, on laisse papa dormir.
Je soulevai le plus dĂ©licatement possible la main dâEdward qui reposait sur ma taille. SitĂŽt libĂ©rĂ©, Declan sâextirpa du lit. Postman Pat, qui nâavait pas bougĂ© de la nuit, se leva Ă son tour en battant de la queue. Je sortis de la couette en empĂȘchant le chien de sâapprocher du lit et de rĂ©veiller son maĂźtre.
Declan et Postman Pat filĂšrent tous les deux dans lâescalier. Avant de refermer la porte, je jetai un dernier coup dâĆil Ă Edward ; il sâĂ©tait dĂ©placĂ© en travers du lit, la tĂȘte sur mon oreiller. Comment pourrais-je oublier cette image ?
Declan mâattendait, installĂ© sur un tabouret de bar. Jâenfilai un pull de son pĂšre qui traĂźnait et mâattelai Ă la prĂ©paration du petit dĂ©jeuner. Dix minutes plus tard, nous Ă©tions cĂŽte Ă cĂŽte, Declan avec ses tartines et son chocolat chaud, et moi avec mon cafĂ©. Je me coulais dans une vie de famille, sans rĂ©serve, sans crainte, sans rĂ©flĂ©chir.
â On fait quoi aujourdâhui ? me demanda-t-il.
â Je vais aller rendre visite Ă Jack.
â Et aprĂšs ? Tu restes avec nous ?
â Bien sĂ»r, ne tâinquiĂšte pas.
Il parut rassurĂ©, pour un temps. DĂšs quâil eut fini de manger, il sauta de son tabouret et alluma la tĂ©lĂ©vision. Je rechargeai ma tasse en cafĂ©, attrapai mon paquet de cigarettes et mon tĂ©lĂ©phone pour mâinstaller sur la terrasse en bravant le froid. Je me sentis mal en dĂ©couvrant le nombre dâappels en absence et de SMS dâOlivier. Je nâavais donnĂ© aucun signe de vie, je nâavais pas pensĂ© Ă lui une seule seconde. Jâallumai une clope en tremblant avant de lâappeler. Il dĂ©crocha Ă la premiĂšre sonnerie.
â Mon Dieu ! Diane, je me suis tellement inquiĂ©tĂ© pour toi.
â Excuse-moi⊠la journĂ©e dâhier a Ă©tĂ© Ă©prouvanteâŠ
â Je peux comprendre⊠mais ne me laisse plus sans nouvelles comme çaâŠ
Je lui racontai briĂšvement lâenterrement et la soirĂ©e qui avait suivi en omettant mes Ă©motions et les chamboulements vĂ©cus. Je dĂ©viai ensuite la conversation vers Paris et Les Gens⊠Lâespace de quelques secondes, jâeus le sentiment quâil me parlait dâune vie qui nâĂ©tait pas la mienne, qui ne me concernait pas.
Je contemplais la mer dĂ©chaĂźnĂ©e pendant quâil mâexpliquait que FĂ©lix Ă©tait fier du chiffre dâaffaires des deux derniers jours, et quâil sâĂ©tait lancĂ© dans lâorganisation dâune nouvelle soirĂ©e thĂ©matique. Ăa ne mâenchantait ni ne me rĂ©jouissait pas plus que ça. Je rĂ©pondais laconiquement par des « câest bien ». La baie vitrĂ©e sâouvrit dans mon dos, je me retournai, persuadĂ©e de trouver Declan ; je me trompais.
Edward, les cheveux encore mouillés aprÚs sa douche, me rejoignit avec son café et ses cigarettes. Nous nous regardùmes dans les yeux.
â Olivier, je dois te laisserâŠ
â Attends !
â Dis-moi.
â Tu rentres demain ? Tu rentres vraiment ?