Son intervention fonctionna, nos trois visages se tournĂšrent vers lui.
â Diane et Edward, allez prendre lâair avec Declan, puis rentrez chez vous sans repasser par ici.
Judith, va te distraire et voir des amis.
Le frĂšre et la sĆur protestĂšrent, je les laissai faire et observai Jack ; il ne voulait pas ĂȘtre un poids et avait besoin dâĂȘtre seul, en tĂȘte Ă tĂȘte avec le souvenir de sa femme. Il leva la main, ce qui les fit taire.
â Nâattendez pas pour reprendre le cours de vos existences⊠je nâai pas peur de la solitude. Je vais mener ma petite vie, ne vous inquiĂ©tez pas pour moi. De toute façon, cet aprĂšs-midi, je ne resterai pas avec vous ici, je vais rendre visite Ă Abby.
Plus personne ne chercha Ă le contredire. Il se leva et commença Ă dĂ©barrasser. Je mâempressai de lâaider, Judith et Edward me suivirent. En moins de temps quâil ne fallait pour le dire, la salle Ă manger Ă©tait propre, et le lave-vaisselle lancĂ©. Edward Ă©changea une accolade avec son oncle et sortit rejoindre Declan dans le jardin. Judith sâapprocha de moi.
â DĂ©solĂ©e pour mon coup de sang, mais je mâinquiĂšte pour vous.
â Je sais.
â On se voit demain matin, me dit-elle avant de quitter la cuisine.
Nous Ă©tions seuls, Jack et moi. Il me fit un grand sourire et mâouvrit ses bras. Je mây rĂ©fugiai.
â Merci dâĂȘtre venue, ma petite FrançaiseâŠ
â CâĂ©tait ma place. Prends soin de toiâŠ
â Tu sais que tu es ici chez toi.
â Oui, murmurai-je.
â Je ne te dirai rien de plus. Tu sais ce quâil y a Ă savoirâŠ
Jâembrassai sa grosse barbe blanche, et mâenfuis de cette cuisine. Edward, Declan et Postman Pat Ă©taient dans la voiture. Je grimpai Ă mon tour dans le Range Rover et claquai la portiĂšre.
â OĂč allons-nous ?
Je plongeai mes yeux dans ceux dâEdward, interrogatifs. Au loin, jâentendis la ceinture de Declan se dĂ©tacher, il se glissa entre nous en sâaccoudant Ă nos appuis-tĂȘte. Je palpai toutes les questions, les hĂ©sitations dâEdward.
â Encore quelques heures, lui dis-je.
Sa réponse : allumer le moteur et prendre la route.
Le reste de lâaprĂšs-midi fusa. Edward me fit dĂ©couvrir une autre petite partie de la Wild Way Atlantic. Il poussa jusquâaux premiĂšres falaises dâAchill Island. Declan monopolisait la conversation en jouant le guide touristique. Nous Ă©changions des regards complices avec Edward en lâĂ©coutant Ă©taler sa science.
Nous tentĂąmes le diable en sortant de la voiture alors quâil pleuvait des cordes. Et ce fut trempĂ©s jusquâaux os que nous rentrĂąmes au cottage. Edward commença par allumer un feu de cheminĂ©e et envoya son fils se doucher. Je le suivis Ă lâĂ©tage et enfilai des vĂȘtements secs. Pendant que Declan se lavait, je retapai son lit, rangeai le bazar dans sa chambre, et prĂ©parai ses affaires dâĂ©cole pour le lendemain.
Quand il me rejoignit, il se dirigea vers moi.
â Tu veux bien me lire une histoire ?
â Choisis des livres et on va aller en bas, avec papa.
Nous nous installùmes sur le canapé, je passai mon bras autour de lui, il se nicha contre mon sein.
Je me lançai dans la lecture. Jâeus un flash de ma tentative avortĂ©e dâatelier de lecture pour enfants aux Gens. Je pris conscience du chemin parcouru. Une question subsistait encore : si çâavait Ă©tĂ© un enfant inconnu, aurais-je Ă©tĂ© capable de le faire ? Pas si sĂ»r. Jâaimais Declan, je nâavais plus peur de me lâavouer. Je tenais Ă la place quâil mâavait accordĂ©e dans sa vie. Ă certains moments, je levais le nez du livre et croisais le regard dâEdward, qui, aprĂšs sâĂȘtre changĂ© Ă son tour, prĂ©parait le dĂźner. Mes yeux devaient lui reflĂ©ter le cafard qui mâenvahissait, et dans les siens, en plus de la tristesse, je retrouvais sa colĂšre coutumiĂšre. Je me fis la remarque que cela faisait longtemps que je ne lâavais pas vue sâexprimer.
Nous nous retenions de laisser Ă©clater notre malaise pour Ă©pargner Declan. Et finalement, avions-nous le choix ?
Ă table, Declan luttait pour garder les yeux ouverts, ce qui avait lâeffet dâapaiser son pĂšre ; Edward le regardait tendrement.
â Tu dors dans ton lit, ce soir, lui annonça-t-il.
â OuiâŠ
Il devait vraiment ĂȘtre Ă©puisĂ© pour ne pas chercher Ă nĂ©gocier. Edward fronça les sourcils.
â Câest Judith qui tâemmĂšne Ă lâĂ©cole demain.
â OuiâŠ
â Tu veux aller te coucher maintenant ?
Il se contenta de hocher la tĂȘte. Il sortit de table et vint me prendre la main. Je me levai et le suivis, prĂȘte Ă monter, mais il fit un crochet vers son pĂšre dont il attrapa la main aussi. Et je pensai : encore un peu de courage. Nous Ă©changeĂąmes un regard avec Edward, puis il hissa son fils dans ses bras et Declan sâenroula autour de lui, sans me lĂącher. Une fois dans sa chambre, Edward le dĂ©posa dans son lit et remonta la couette sur lui. Je mâagenouillai prĂšs de son visage. Automatiquement, il mit lâĂ©charpe de sa mĂšre contre son nez. De sa main libre, il me caressa la joue. Je fermai les yeux.
â Pars pas, Diane.
Sa demande me broya de lâintĂ©rieur.
â Dors, mon bonhomme. On se voit demain matin.
Il Ă©tait dĂ©jĂ tombĂ© dans les bras de MorphĂ©e. Je lui embrassai le front et me relevai. Edward mâattendait Ă la porte, les traits Ă nouveau tendus. En traversant le couloir, la porte ouverte de son bureau mâattira, jây pĂ©nĂ©trai sans lui en demander lâautorisation et dĂ©crochai la photo du mur.