â Quand lâas-tu prise ?
â Quelle importance ? me dit-il, alors quâil Ă©tait restĂ© sur le seuil.
â Sâil te plaĂźt⊠RĂ©ponds-moi.
â Le matin de lâexposition.
Sa voix Ă©tait lasse. Mes Ă©paules sâaffaissĂšrent, ma gorge se noua. La complexitĂ© et lâimpossibilitĂ© de notre relation, les difficultĂ©s, les secrets, les non-dits, les sentiments enfouis nous Ă©puisaient lâun et lâautre.
â Et pourquoi la gardes-tu ?
â Pour me servir de pense-bĂȘte.
Il tourna les talons et dĂ©vala lâescalier. Je mâassis Ă son bureau, la photo toujours entre les mains, les yeux braquĂ©s dessus. Face Ă moi-mĂȘme aux Gens, chez moi, dans ma vie. IndĂ©niablement, je semblais heureuse. Ă cette Ă©poque, il nây avait plus dâombre qui planait autour de moi, jâavais tout pour lâĂȘtre. Du moins le croyais-je⊠Car quelques heures aprĂšs quâelle eut Ă©tĂ© prise, tout avait basculĂ©, et, depuis, la
situation nâavait fait que mâĂ©chapper. Les certitudes quant Ă mes choix, pour lesquels jâavais tant bataillĂ© ces derniers mois, sâeffondraient les unes aprĂšs les autres. Je finis par dĂ©tourner le regard de cette reprĂ©sentation de la Diane parisienne, propriĂ©taire de son cafĂ© littĂ©raire, et en couple avec Olivier.
Jâaperçus une pile de photos qui Ă©voquaient dâautres souvenirs : celles quâAbby avait demandĂ©es Ă Edward lorsque jâĂ©tais revenue la premiĂšre fois. On nous y voyait tous rĂ©unis sauf le photographe, mais sa prĂ©sence Ă©tait si forte quâon la percevait. Moi, jâĂ©tais diffĂ©rente, câĂ©tait certain. Ă aucun moment, je nâavais lâair ailleurs, jâĂ©tais lĂ , les yeux toujours posĂ©s sur lâun ou lâautre, ou bien en quĂȘte dâEdward.
Jâavais une place que je prenais.
Edward Ă©tait assis sur le canapĂ©, une cigarette aux lĂšvres, apparemment absorbĂ© par le feu de cheminĂ©e, deux verres de whisky devant lui sur la table basse. Je fis ce dont jâavais envie, et ce dont jâavais besoin Ă cet instant. Je me pelotonnai contre lui, la tĂȘte calĂ©e sur son torse, les jambes repliĂ©es ; il referma son bras sur mes Ă©paules. Nous restĂąmes lĂ , silencieux durant de trĂšs longues minutes, jâĂ©coutai son cĆur battre et le bois qui craquait.
â DianeâŠ
Je ne lâavais jamais entendu parler si bas, comme sâil sâapprĂȘtait Ă dĂ©voiler un secret.
â Je tâĂ©coute.
â Ne reviens plus ici, sâil te plaĂźt.
Je me blottis plus Ă©troitement contre lui, il me serra plus fort.
â On ne peut plus se bercer dâillusions, reprit-il. Ni jouer la comĂ©dieâŠ
â Je saisâŠ
â Je refuse que Declan paye pour notre histoire⊠il est dĂ©jĂ trop attachĂ© Ă toi⊠il te veut Ă une place que tu ne peux pas lui offrir⊠Il a besoin de stabilitĂ©âŠ
â On doit le protĂ©ger⊠nous nâavons pas le choix.
Je frottai mon visage contre sa chemise, il embrassa et respira mes cheveux.
â Et moi⊠jeâŠ
Il sâĂ©loigna, se leva brusquement, vida son verre dâun trait et se posta devant la cheminĂ©e, dos Ă moi, les Ă©paules voĂ»tĂ©es. Je me mis debout Ă mon tour et mâapprochai de lui. Il sâen rendit compte en jetant un coup dâĆil par-dessus son Ă©paule.
â Reste lĂ âŠ
Je mâarrĂȘtai, jâavais mal partout, Ă la tĂȘte, au cĆur, Ă la peau. Edward inspira profondĂ©ment.
â Je ne veux plus souffrir de tâaimer⊠Câest invivable⊠ça fait trop longtemps que ça dureâŠ
Mon pense-bĂȘte ne suffit plus Ă me rappeler que tu as construit une vie oĂč tu nâes ni la mĂšre de Declan ni
ma femmeâŠ
Se rendait-il compte des mots quâil employait ? Mots et confessions qui me bouleversaient. Il se livrait vĂ©ritablement pour la premiĂšre fois, et ça nous faisait du mal.
â Ta vie est et sera toujours Ă Paris.
â Câest vrai, murmurai-je.
Il me fit face et me regarda droit dans les yeux.
â Je dois tâoublier une bonne fois pour toutesâŠ
Ăa sonnait comme une promesse et un dĂ©fi insurmontable.
â Pardonne-moi, lui dis-je.
â Ce nâest la faute de personne⊠on nâa jamais eu dâavenir ensemble⊠Nous nâaurions pas dĂ» nous rencontrer et encore moins nous revoir⊠Reprends ta routeâŠ
â Tu regrettes de mâavoir rencontrĂ©e ?
Il me fusilla du regard et secoua la tĂȘte.
â Va te coucher⊠câest prĂ©fĂ©rable.