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madame Bovary. Elle se recula d’un air terrible, en s’écriant :

– Vous profitez impudemment de ma dĂ©tresse,

monsieur ! Je suis Ă  plaindre, mais pas Ă  vendre !

Et elle sortit.

Le notaire resta fort stupĂ©fait, les yeux fixĂ©s sur ses belles pantoufles en tapisserie. C’était un prĂ©sent de l’amour. Cette vue Ă  la fin le consola.

D’ailleurs, il songeait qu’une aventure pareille l’aurait entraĂźnĂ© trop loin.

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– Quel misĂ©rable ! quel goujat !... quelle infamie ! se disait-elle, en fuyant d’un pied nerveux sous les trembles de la route. Le dĂ©sappointement de l’insuccĂšs renforçait l’indignation de sa pudeur outragĂ©e ; il lui semblait que la Providence s’acharnait Ă  la poursuivre, et, s’en rehaussant d’orgueil, jamais elle n’avait eu tant d’estime pour elle-mĂȘme ni tant de mĂ©pris pour les autres. Quelque chose de belliqueux la transportait. Elle aurait voulu battre les hommes, leur cracher au visage, les broyer tous ; et elle continuait Ă  marcher rapidement devant elle, pĂąle, frĂ©missante, enragĂ©e, furetant d’un Ɠil en pleurs l’horizon vide, et comme se dĂ©lectant Ă  la haine qui l’étouffait.

Quand elle aperçut sa maison, un

engourdissement la saisit. Elle ne pouvait avancer ; il le fallait cependant ; d’ailleurs, oĂč fuir ?

FĂ©licitĂ© l’attendait sur la porte.

– Eh bien ?

– Non ! dit Emma.

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Et, pendant un quart d’heure, toutes les deux, elles avisĂšrent les diffĂ©rentes personnes d’Yonville disposĂ©es peut-ĂȘtre Ă  la secourir.

Mais, chaque fois que FĂ©licitĂ© nommait quelqu’un, Emma rĂ©pliquait :

– Est-ce possible ! ils ne voudront pas !

– Et monsieur qui va rentrer !

– Je le sais bien ; laisse-moi seule.

Elle avait tout tentĂ©. Il n’y avait plus rien Ă  faire maintenant ; et, quand Charles paraĂźtrait, elle allait donc lui dire : Retire-toi. Ce tapis oĂč tu marches n’est plus Ă  nous. De ta maison, tu n’as pas un meuble, une Ă©pingle, une paille, et c’est moi qui t’ai ruinĂ©, pauvre homme ! Alors ce serait un grand sanglot, puis il pleurerait abondamment, et enfin, la surprise passĂ©e, il pardonnerait.

– Oui, murmurait-elle en grinçant des dents, il me pardonnera, lui qui n’aurait pas assez d’un million Ă  m’offrir pour que je l’excuse de m’avoir connue. Jamais ! jamais ! Cette idĂ©e de la supĂ©rioritĂ© de Bovary sur elle l’exaspĂ©rait. Puis, 622

qu’elle avouĂąt ou n’avouĂąt pas, tout Ă  l’heure, tantĂŽt, demain, il n’en saurait pas moins la catastrophe ; donc, il fallait attendre cette horrible scĂšne et subir le poids de sa magnanimitĂ©.

L’envie lui vint de retourner chez Lheureux : Ă  quoi bon ? d’écrire Ă  son pĂšre : il Ă©tait trop tard ; et peut-ĂȘtre qu’elle se repentait maintenant de n’avoir pas cĂ©dĂ© Ă  l’autre, lorsqu’elle entendit le trot d’un cheval dans l’allĂ©e. C’était lui, il ouvrait la barriĂšre, il Ă©tait plus blĂȘme que le mur de plĂątre. Bondissant dans l’escalier, elle s’échappa vivement par la Place ; et la femme du maire, qui causait devant l’église avec Lestiboudois, la vit entrer chez le percepteur.

Elle courut le dire Ă  madame Caron. Ces deux dames montĂšrent dans le grenier ; et cachĂ©es par du linge Ă©tendu sur des perches, se postĂšrent commodĂ©ment pour apercevoir tout l’intĂ©rieur de Binet.

Il Ă©tait seul, dans sa mansarde, en train d’imiter, avec du bois, une de ces ivoireries indescriptibles, composĂ©es de croissants, de sphĂšres creusĂ©es les unes dans les autres, le tout 623

droit comme un obélisque et ne servant à rien ; et il entamait la derniÚre piÚce, il touchait au but !

Dans le clair-obscur de l’atelier, la poussiĂšre blonde s’envolait de son outil, comme une aigrette d’étincelles sous les fers d’un cheval au galop ; les deux roues tournaient, ronflaient ; Binet souriait, le menton baissĂ©, les narines ouvertes, et semblait enfin perdu dans un de ces bonheurs complets, n’appartenant sans doute qu’aux occupations mĂ©diocres, qui amusent l’intelligence par des difficultĂ©s faciles, et l’assouvissent en une rĂ©alisation au delĂ  de laquelle il n’y a pas Ă  rĂȘver.

– Ah ! la voici ! fit madame Tuvache.

Mais il n’était guĂšre possible, Ă  cause du tour, d’entendre ce qu’elle disait.

Enfin, ces dames crurent distinguer le mot francs, et la mĂšre Tuvache souffla tout bas :

– Elle le prie pour obtenir un retard à ses contributions.

– D’apparence ! reprit l’autre.

Elles la virent qui marchait de long en large, 624

examinant contre les murs les ronds de serviette, les chandeliers, les pommes de rampe, tandis que Binet se caressait la barbe avec satisfaction.

– Viendrait-elle lui commander quelque chose ? dit madame Tuvache.

– Mais il ne vend rien ! objecta sa voisine.

Le percepteur avait l’air d’écouter, tout en Ă©carquillant les yeux, comme s’il ne comprenait pas. Elle continuait d’une maniĂšre tendre, suppliante. Elle se rapprocha ; son sein haletait ; ils ne parlaient plus.

– Est-ce qu’elle lui fait des avances ? dit madame Tuvache.

Binet Ă©tait rouge jusqu’aux oreilles. Elle lui prit les mains.

– Ah ! c’est trop fort !

Et sans doute qu’elle lui proposait une abomination ; car le percepteur, – il Ă©tait brave pourtant, il avait combattu Ă  Bautzen et Ă  Lutzen, fait la campagne de France, et mĂȘme Ă©tĂ© portĂ© pour la croix, – mais tout Ă  coup, comme Ă  la vue d’un serpent, il se recula bien loin en s’écriant : –

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Madame ! y pensez-vous ?...

– On devrait fouetter ces femmes-là ! dit madame Tuvache.

– OĂč est-elle donc ? reprit madame Caron.

Car elle avait disparu durant ces mots ; puis, l’apercevant qui enfilait la grande rue et tournait à droite comme pour gagner le cimetiùre, elles se perdirent en conjectures.

– MĂšre Rolet, dit-elle en arrivant chez la nourrice, j’étouffe !... dĂ©lacez-moi.

Elle tomba sur le lit. Elle sanglotait. La mĂšre Rolet la couvrit d’un jupon et resta debout prĂšs d’elle. Puis, comme elle ne rĂ©pondait pas, la bonne femme s’éloigna, prit son rouet et se mit Ă  filer du lin.

– Oh ! finissez ! murmura-t-elle, croyant entendre le tour de Binet.

– Qui la gĂȘne ? se demandait la nourrice.

Are sens