"Unleash your creativity and unlock your potential with MsgBrains.Com - the innovative platform for nurturing your intellect." » Français Books » 💚💚,,Madame Bovary'' - Gustave Flaubert

Add to favorite 💚💚,,Madame Bovary'' - Gustave Flaubert

Select the language in which you want the text you are reading to be translated, then select the words you don't know with the cursor to get the translation above the selected word!




Go to page:
Text Size:

– Quel entĂȘtement tu as quelquefois ! J’ai Ă©tĂ© Ă  BarfeuchĂšres aujourd’hui. Eh bien ! madame LiĂ©geard m’a certifiĂ© que ses trois demoiselles, qui sont Ă  la MisĂ©ricorde, prenaient des leçons moyennant cinquante sous la sĂ©ance, et d’une fameuse maĂźtresse encore !

Elle haussa les Ă©paules, et ne rouvrit plus son instrument.

Mais, lorsqu’elle passait auprĂšs (si Bovary se trouvait lĂ ), elle soupirait : « Ah ! mon pauvre piano ! » Et quand on venait la voir, elle ne manquait pas de vous apprendre qu’elle avait abandonnĂ© la musique et ne pouvait maintenant s’y remettre, pour des raisons majeures. Alors on la plaignait. C’était dommage ! elle qui avait un si beau talent ! on en parla mĂȘme Ă  Bovary. On lui faisait honte, et surtout le pharmacien :

– Vous avez tort ! il ne faut jamais laisser en friche les facultĂ©s de la nature. D’ailleurs, songez, mon bon ami, qu’en engageant Madame Ă  Ă©tudier, vous Ă©conomisez pour plus tard sur l’éducation musicale de votre enfant ! Moi, je 534

trouve que les mĂšres doivent instruire elles-mĂȘmes leurs enfants. C’est une idĂ©e de Rousseau, peut-ĂȘtre un peu neuve encore, mais qui finira par triompher, j’en suis sĂ»r, comme l’allaitement maternel et la vaccination.

Charles revint donc encore une fois sur cette question du piano. Emma rĂ©pondit avec aigreur qu’il valait mieux le vendre. Ce pauvre piano, qui lui avait causĂ© tant de vaniteuses satisfactions, le voir s’en aller, c’était pour Bovary comme l’indĂ©finissable suicide d’une partie d’elle-mĂȘme !

– Si tu voulais..., disait-il, de temps Ă  autre, une leçon, cela ne serait pas, aprĂšs tout, extrĂȘmement ruineux. – Mais les leçons, rĂ©pliquait-elle, ne sont profitables que suivies.

Et voilĂ  comme elle s’y prit pour obtenir de son Ă©poux la permission d’aller Ă  la ville, une fois la semaine, voir son amant. On trouva mĂȘme, au bout d’un mois, qu’elle avait fait des progrĂšs considĂ©rables.

535

V

C’était le jeudi. Elle se levait, et elle s’habillait silencieusement pour ne point Ă©veiller Charles, qui lui aurait fait des observations sur ce qu’elle s’apprĂȘtait de trop bonne heure. Ensuite elle marchait de long en large ; elle se mettait devant les fenĂȘtres et regardait la Place. Le petit jour circulait entre les piliers des halles, et la maison du pharmacien, dont les volets Ă©taient fermĂ©s, laissait apercevoir dans la couleur pĂąle de l’aurore les majuscules de son enseigne.

Quand la pendule marquait sept heures et un

quart, elle s’en allait au Lion d’or, dont ArtĂ©mise, en bĂąillant, venait lui ouvrir la porte. Celle-ci dĂ©terrait pour Madame les charbons enfouis sous les cendres. Emma restait seule dans la cuisine.

De temps Ă  autre, elle sortait. Hivert attelait sans se dĂ©pĂȘcher, et en Ă©coutant d’ailleurs la mĂšre Lefrançois, qui, passant par un guichet sa tĂȘte en 536

bonnet de coton, le chargeait de commissions et lui donnait des explications à troubler un tout autre homme. Emma battait la semelle de ses bottines contre les pavés de la cour.

Enfin, lorsqu’il avait mangĂ© sa soupe, endossĂ© la limousine, allumĂ© sa pipe et empoignĂ© son fouet, il s’installait tranquillement sur le siĂšge.

L’ Hirondelle partait au petit trot, et, durant trois quarts de lieue, s’arrĂȘtait de place en place pour prendre des voyageurs, qui la guettaient debout, au bord du chemin, devant la barriĂšre des cours. Ceux qui avaient prĂ©venu la veille se faisaient attendre ; quelques-uns mĂȘme Ă©taient encore au lit dans leur maison ; Hivert appelait, criait, sacrait, puis il descendait de son siĂšge et allait frapper de grands coups contre les portes.

Le vent soufflait par les vasistas fĂȘlĂ©s.

Cependant les quatre banquettes se

garnissaient, la voiture roulait, les pommiers Ă  la file se succĂ©daient ; et la route, entre ses deux longs fossĂ©s pleins d’eau jaune, allait continuellement se rĂ©trĂ©cissant vers l’horizon.

Emma la connaissait d’un bout à l’autre ; elle 537

savait qu’aprĂšs un herbage il y avait un poteau, ensuite un orme, une grange ou une cahute de cantonnier ; quelquefois mĂȘme, afin de se faire des surprises, elle fermait les yeux. Mais elle ne perdait jamais le sentiment net de la distance Ă  parcourir.

Enfin, les maisons de briques se

rapprochaient, la terre rĂ©sonnait sous les roues, l’ Hirondelle glissait entre des jardins oĂč l’on apercevait, par une claire-voie, des statues, un vignot, des ifs taillĂ©s et une escarpolette. Puis, d’un seul coup d’Ɠil, la ville apparaissait.

Descendant tout en amphithĂ©Ăątre et noyĂ©e dans le brouillard, elle s’élargissait au delĂ  des ponts, confusĂ©ment. La pleine campagne remontait ensuite d’un mouvement monotone, jusqu’à toucher au loin la base indĂ©cise du ciel pĂąle. Ainsi vu d’en haut, le paysage tout entier avait l’air immobile comme une peinture ; les navires Ă  l’ancre se tassaient dans un coin ; le fleuve arrondissait sa courbe au pied des collines vertes, et les Ăźles, de forme oblongue, semblaient sur l’eau de grands poissons noirs arrĂȘtĂ©s. Les 538

cheminĂ©es des usines poussaient d’immenses panaches bruns qui s’envolaient par le bout. On entendait le ronflement des fonderies avec le carillon clair des Ă©glises qui se dressaient dans la brume. Les arbres des boulevards, sans feuilles, faisaient des broussailles violettes au milieu des maisons, et les toits, tout reluisants de pluie, miroitaient inĂ©galement, selon la hauteur des quartiers. Parfois un coup de vent emportait les nuages vers la cĂŽte Sainte-Catherine, comme des flots aĂ©riens qui se brisaient en silence contre une falaise.

Quelque chose de vertigineux se dĂ©gageait pour elle de ces existences amassĂ©es, et son cƓur s’en gonflait abondamment, comme si les cent vingt mille Ăąmes qui palpitaient lĂ  lui eussent envoyĂ© toutes Ă  la fois la vapeur des passions qu’elle leur supposait. Son amour s’agrandissait devant l’espace, et s’emplissait de tumulte aux bourdonnements vagues qui montaient. Elle le reversait au dehors, sur les places, sur les promenades, sur les rues, et la vieille citĂ© normande s’étalait Ă  ses yeux comme une capitale dĂ©mesurĂ©e, comme une Babylone oĂč elle 539

entrait. Elle se penchait des deux mains par le vasistas, en humant la brise ; les trois chevaux galopaient, les pierres grinçaient dans la boue, la diligence se balançait, et Hivert, de loin, hélait les carrioles sur la route, tandis que les bourgeois qui avaient passé la nuit au bois Guillaume descendaient la cÎte tranquillement, dans leur petite voiture de famille.

On s’arrĂȘtait Ă  la barriĂšre ; Emma dĂ©bouclait ses socques, mettait d’autres gants, rajustait son chĂąle, et, vingt pas plus loin, elle sortait de l’ Hirondelle.

La ville alors s’éveillait. Des commis, en bonnet grec, frottaient la devanture des boutiques, et des femmes qui tenaient des paniers sur la hanche poussaient par intervalles un cri sonore, au coin des rues. Elle marchait les yeux Ă  terre, frĂŽlant les murs, et souriant de plaisir sous son voile noir baissĂ©.

Par peur d’ĂȘtre vue, elle ne prenait pas ordinairement le chemin le plus court. Elle s’engouffrait dans les ruelles sombres, et elle arrivait tout en sueur vers le bas de la rue 540

Nationale, prĂšs de la fontaine qui est lĂ . C’est le quartier du thĂ©Ăątre, des estaminets et des filles.

Souvent une charrette passait prĂšs d’elle, portant quelque dĂ©cor qui tremblait. Des garçons en tablier versaient du sable sur les dalles, entre des arbustes verts. On sentait l’absinthe, le cigare et les huĂźtres.

Elle tournait une rue ; elle le reconnaissait Ă  sa chevelure frisĂ©e qui s’échappait de son chapeau.

LĂ©on, sur le trottoir, continuait Ă  marcher. Elle le suivait jusqu’à l’hĂŽtel ; il montait, il ouvrait la porte, il entrait... Quelle Ă©treinte !

Puis les paroles, aprĂšs les baisers, se prĂ©cipitaient. On se racontait les chagrins de la semaine, les pressentiments, les inquiĂ©tudes pour les lettres ; mais Ă  prĂ©sent tout s’oubliait, et ils se regardaient face Ă  face, avec des rires de voluptĂ© et des appellations de tendresse.

Le lit Ă©tait un grand lit d’acajou en forme de nacelle. Les rideaux de levantine rouge, qui descendaient du plafond, se cintraient trop bas vers le chevet Ă©vasĂ©, – et rien au monde n’était beau comme sa tĂȘte brune et sa peau blanche se 541

détachant sur cette couleur pourpre, quand, par un geste de pudeur, elle fermait ses deux bras nus, en se cachant la figure dans les mains.

Le tiĂšde appartement, avec son tapis discret, ses ornements folĂątres et sa lumiĂšre tranquille, semblait tout commode pour les intimitĂ©s de la passion. Les bĂątons se terminant en flĂšche, les patĂšres de cuivre et les grosses boules de chenets reluisaient tout Ă  coup, si le soleil entrait. Il y avait sur la cheminĂ©e, entre les candĂ©labres, deux de ces grandes coquilles roses oĂč l’on entend le bruit de la mer quand on les applique Ă  son oreille.

Comme ils aimaient cette bonne chambre pleine de gaietĂ©, malgrĂ© sa splendeur un peu fanĂ©e ! Ils retrouvaient toujours les meubles Ă  leur place, et parfois des Ă©pingles Ă  cheveux qu’elle avait oubliĂ©es, l’autre jeudi, sous le socle de la pendule. Ils dĂ©jeunaient au coin du feu, sur un petit guĂ©ridon incrustĂ© de palissandre. Emma dĂ©coupait, lui mettait les morceaux dans son assiette en dĂ©bitant toutes sortes de chatteries ; et elle riait d’un rire sonore et libertin quand la 542

Are sens

Copyright 2023-2059 MsgBrains.Com