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Un grand frisson lui secouait les Ă©paules, et elle 645

devenait plus pĂąle que le drap oĂč s’enfonçaient ses doigts crispĂ©s. Son pouls inĂ©gal Ă©tait presque insensible maintenant.

Des gouttes suintaient sur sa figure bleuĂątre, qui semblait comme figĂ©e dans l’exhalaison d’une vapeur mĂ©tallique. Ses dents claquaient, ses yeux agrandis regardaient vaguement autour d’elle, et Ă  toutes les questions elle ne rĂ©pondait qu’en hochant la tĂȘte ; mĂȘme elle sourit deux ou trois fois. Peu Ă  peu, ses gĂ©missements furent plus forts. Un hurlement sourd lui Ă©chappa ; elle prĂ©tendit qu’elle allait mieux et qu’elle se lĂšverait tout Ă  l’heure. Mais les convulsions la saisirent ; elle s’écria :

– Ah ! c’est atroce, mon Dieu !

Il se jeta Ă  genoux contre son lit.

– Parle ! qu’as-tu mangĂ© ? RĂ©ponds, au nom

du ciel !

Et il la regardait avec des yeux d’une tendresse comme elle n’en avait jamais vu.

– Eh bien ! lĂ ..., lĂ  !... dit-elle d’une voix dĂ©faillante.

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Il bondit au secrĂ©taire, brisa le cachet et lut tout haut : Qu’on n’accuse personne... Il s’arrĂȘta, se passa la main sur les yeux, et relut encore.

– Comment ! Au secours ! à moi !

Et il ne pouvait que répéter ce mot :

« EmpoisonnĂ©e ! empoisonnĂ©e ! » FĂ©licitĂ© courut chez Homais, qui l’exclama sur la Place ; madame Lefrançois l’entendit au Lion d’or ; quelques-uns se levĂšrent pour l’apprendre Ă  leurs voisins, et toute la nuit le village fut en Ă©veil.

Éperdu, balbutiant, prĂšs de tomber, Charles tournait dans la chambre. Il se heurtait aux meubles, s’arrachait les cheveux, et jamais le pharmacien n’avait cru qu’il pĂ»t y avoir de si Ă©pouvantable spectacle.

Il revint chez lui pour Ă©crire Ă  M. Canivet et au docteur LariviĂšre. Il perdait la tĂȘte ; il fit plus de quinze brouillons. Hippolyte partit Ă  NeufchĂątel, et Justin talonna si fort le cheval de Bovary, qu’il le laissa dans la cĂŽte du bois Guillaume, fourbu et aux trois quarts crevĂ©.

Charles voulut feuilleter son dictionnaire de 647

mĂ©decine ; il n’y voyait pas, les lignes dansaient.

– Du calme ! dit l’apothicaire. Il s’agit seulement d’administrer quelque puissant antidote. Quel est le poison ?

Charles montra la lettre. C’était de l’arsenic.

– Eh bien ! reprit Homais, il faudrait en faire l’analyse.

Car il savait qu’il faut, dans tous les empoisonnements, faire une analyse ; et l’autre, qui ne comprenait pas, rĂ©pondit :

– Ah ! faites ! faites ! sauvez-la...

Puis, revenu prĂšs d’elle, il s’affaissa par terre sur le tapis, et il restait la tĂȘte appuyĂ©e contre le bord de sa couche, Ă  sangloter.

– Ne pleure pas ! lui dit-elle. Bientît je ne te tourmenterai plus !

– Pourquoi ? Qui t’a forcĂ©e ?

Elle répliqua :

– Il le fallait, mon ami.

– N’étais-tu pas heureuse ? Est-ce ma faute ?

J’ai fait tout ce que j’ai pu, pourtant !

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– Oui... c’est vrai... tu es bon, toi !

Et elle lui passait la main dans les cheveux, lentement. La douceur de cette sensation surchargeait sa tristesse ; il sentait tout son ĂȘtre s’écrouler de dĂ©sespoir Ă  l’idĂ©e qu’il fallait la perdre, quand, au contraire, elle avouait pour lui plus d’amour que jamais ; et il ne trouvait rien ; il ne savait pas, il n’osait, l’urgence d’une rĂ©solution immĂ©diate achevant de le bouleverser.

Elle en avait fini, songeait-elle, avec toutes les trahisons, les bassesses et les innombrables convoitises qui la torturaient. Elle ne haĂŻssait personne, maintenant ; une confusion de crĂ©puscule s’abattait en sa pensĂ©e, et de tous les bruits de la terre Emma n’entendait plus que l’intermittente lamentation de ce pauvre cƓur, douce et indistincte, comme le dernier Ă©cho d’une symphonie qui s’éloigne.

– Amenez-moi la petite, dit-elle en se soulevant du coude.

– Tu n’es pas plus mal, n’est-ce pas ?

demanda Charles.

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– Non ! non !

L’enfant arriva sur le bras de sa bonne, dans sa longue chemise de nuit, d’oĂč sortaient ses pieds nus, sĂ©rieuse et presque rĂȘvant encore. Elle considĂ©rait avec Ă©tonnement la chambre tout en dĂ©sordre, et clignait des yeux, Ă©blouie par les flambeaux qui brĂ»laient sur les meubles. Ils lui rappelaient sans doute les matins du jour de l’an ou de la mi-carĂȘme, quand, ainsi rĂ©veillĂ©e de bonne heure Ă  la clartĂ© des bougies, elle venait dans le lit de sa mĂšre pour y recevoir ses Ă©trennes, car elle se mit Ă  dire :

– OĂč est-ce donc, maman ? Et comme tout le

monde se taisait : Mais je ne vois pas mon petit soulier !

FĂ©licitĂ© la penchait vers le lit, tandis qu’elle regardait toujours du cĂŽtĂ© de la cheminĂ©e.

– Est-ce nourrice qui l’aurait pris ? demanda-telle.

Et, Ă  ce nom, qui la reportait dans le souvenir de ses adultĂšres et de ses calamitĂ©s, madame Bovary dĂ©tourna sa tĂȘte, comme au dĂ©goĂ»t d’un 650

autre poison plus fort qui lui remontait à la bouche. Berthe, cependant, restait posée sur le lit.

– Oh ! comme tu as de grands yeux, maman !

comme tu es pñle ! comme tu sues ! Sa mùre la regardait. – J’ai peur ! dit la petite en se reculant.

Emma prit sa main pour la baiser ; mais elle se débattait.

– Assez ! qu’on l’emmĂšne ! s’écria Charles, qui sanglotait dans l’alcĂŽve.

Are sens