"Unleash your creativity and unlock your potential with MsgBrains.Com - the innovative platform for nurturing your intellect." » Français Books » 💚💚,,Madame Bovary'' - Gustave Flaubert

Add to favorite 💚💚,,Madame Bovary'' - Gustave Flaubert

Select the language in which you want the text you are reading to be translated, then select the words you don't know with the cursor to get the translation above the selected word!




Go to page:
Text Size:

mousse du vin de Champagne dĂ©bordait du verre lĂ©ger sur les bagues de ses doigts. Ils Ă©taient si complĂštement perdus en la possession d’eux-mĂȘmes, qu’ils se croyaient lĂ  dans leur maison particuliĂšre, et devant y vivre jusqu’à la mort, comme deux Ă©ternels jeunes Ă©poux. Ils disaient : notre chambre, notre tapis, nos fauteuils, mĂȘme elle disait : mes pantoufles, un cadeau de LĂ©on, une fantaisie qu’elle avait eue. C’étaient des pantoufles en satin rose, bordĂ©es de cygne.

Quand elle s’asseyait sur ses genoux, sa jambe, alors trop courte, pendait en l’air ; et la mignarde chaussure, qui n’avait pas de quartier, tenait seulement par les orteils Ă  son pied nu. Il savourait pour la premiĂšre fois l’inexprimable dĂ©licatesse des Ă©lĂ©gances fĂ©minines. Jamais il n’avait rencontrĂ© cette grĂące de langage, cette rĂ©serve du vĂȘtement, ces poses de colombe assoupie. Il admirait l’exaltation de son Ăąme et les dentelles de sa jupe. D’ailleurs, n’était-ce pas une femme du monde, et une femme mariĂ©e ! une vraie maĂźtresse enfin ?

Par la diversité de son humeur, tour à tour mystique ou joyeuse, babillarde, taciturne, 543

emportĂ©e, nonchalante, elle allait rappelant en lui mille dĂ©sirs, Ă©voquant des instincts ou des rĂ©miniscences. Elle Ă©tait l’amoureuse de tous les romans, l’hĂ©roĂŻne de tous les drames, le vague elle de tous les volumes de vers. Il retrouvait sur ses Ă©paules la couleur ambrĂ©e de l’Odalisque au bain ; elle avait le corsage long des chĂątelaines fĂ©odales ; elle ressemblait aussi Ă  la Femme pĂąle de Barcelone, mais elle Ă©tait par-dessus tout Ange ! Souvent, en la regardant, il lui semblait que son Ăąme, s’échappant vers elle, se rĂ©pandait comme une onde sur le contour de sa tĂȘte, et descendait entraĂźnĂ©e dans la blancheur de sa poitrine.

Il se mettait par terre, devant elle, – et les deux coudes sur ses genoux, il la considĂ©rait avec un sourire, et le front tendu.

Elle se penchait vers lui et murmurait, comme suffoquĂ©e d’enivrement :

– Oh ! ne bouge pas ! ne parle pas ! regardemoi ! Il sort de tes yeux quelque chose de si doux, qui me fait tant de bien ! Elle l’appelait enfant : – Enfant, m’aimes-tu ? Et elle 544

n’entendait guĂšre sa rĂ©ponse, dans la prĂ©cipitation de ses lĂšvres qui lui montaient Ă  la bouche.

Il y avait sur la pendule un petit Cupidon de bronze, qui minaudait en arrondissant les bras sous une guirlande dorée. Ils en rirent bien des fois ; mais, quand il fallait se séparer, tout leur semblait sérieux.

Immobiles l’un devant l’autre, ils se rĂ©pĂ©taient : À jeudi ! Ă  jeudi !

Tout Ă  coup elle lui prenait la tĂȘte dans les deux mains, le baisait vite au front en s’écriant : Adieu ! et s’élançait dans l’escalier.

Elle allait rue de la Comédie, chez un coiffeur, se faire arranger ses bandeaux. La nuit tombait.

On allumait le gaz dans la boutique.

Elle entendait la clochette du théùtre qui appelait les cabotins à la représentation ; et elle voyait, en face, passer des hommes à figure blanche et des femmes en toilette fanée, qui entraient par la porte des coulisses.

Il faisait chaud dans ce petit appartement trop 545

bas, oĂč le poĂȘle bourdonnait au milieu des perruques et des pommades. L’odeur des fers, avec ces mains grasses qui lui maniaient la tĂȘte ne tardait pas Ă  l’étourdir, et elle s’endormait un peu sous son peignoir. Souvent le garçon, en la coiffant, lui proposait des billets pour le bal masquĂ©.

Puis elle s’en allait ! Elle remontait les rues ; elle arrivait Ă  la Croix rouge ; elle reprenait ses socques, qu’elle avait cachĂ©s le matin sous une banquette, et se tassait Ă  sa place parmi les voyageurs

impatientés.

Quelques-uns

descendaient au bas de la cĂŽte. Elle restait seule dans la voiture.

À chaque tournant, on apercevait de plus en

plus tous les Ă©clairages de la ville qui faisaient une large vapeur lumineuse au-dessus des maisons confondues. Emma se mettait Ă  genoux sur les coussins, et elle Ă©garait ses yeux dans cet Ă©blouissement. Elle sanglotait, appelait LĂ©on, et lui envoyait des paroles tendres et des baisers qui se perdaient au vent.

Il y avait dans la cĂŽte un pauvre diable 546

vagabondant avec son bĂąton, tout au milieu des diligences. Un amas de guenilles lui recouvrait les Ă©paules, et un vieux castor dĂ©foncĂ©, s’arrondissant en cuvette, lui cachait la figure ; mais, quand il le retirait, il dĂ©couvrait, Ă  la place des paupiĂšres, deux orbites bĂ©antes tout ensanglantĂ©es. La chair s’effiloquait par lambeaux rouges, – et il en coulait des liquides qui se figeaient en gales vertes jusqu’au nez, dont les narines noires reniflaient convulsivement.

Pour vous parler, il se renversait la tĂȘte avec un rire idiot ; – alors ses prunelles bleuĂątres, roulant d’un mouvement continu, allaient se cogner, vers les tempes, sur le bord de la plaie vive.

Il chantait une petite chanson en suivant les voitures :

Souvent la chaleur d’un beau jour

Fait rĂȘver fillette Ă  l’amour.

Et il y avait dans tout le reste des oiseaux, du soleil et du feuillage.

547

Quelquefois il apparaissait tout Ă  coup derriĂšre Emma, tĂȘte nue. Elle se retirait avec un cri.

Hivert venait le plaisanter. Il l’engageait à prendre une baraque à la foire Saint-Romain, ou bien lui demandait, en riant, comment se portait sa bonne amie.

Souvent on Ă©tait en marche, lorsque son chapeau, d’un mouvement brusque entrait dans la diligence par le vasistas, tandis qu’il se cramponnait, de l’autre bras, sur le marchepied, entre l’éclaboussure des roues. Sa voix, faible d’abord et vagissante, devenait aiguĂ«. Elle se traĂźnait dans la nuit, comme l’indistincte lamentation d’une vague dĂ©tresse ; et, Ă  travers la sonnerie des grelots, le murmure des arbres et le ronflement de la boĂźte creuse, elle avait quelque chose de lointain qui bouleversait Emma. Cela lui descendait au fond de l’ñme comme un tourbillon dans un abĂźme, et l’emportait parmi les espaces d’une mĂ©lancolie sans bornes. Mais Hivert, qui s’apercevait d’un contrepoids, allongeait Ă  l’aveugle de grands coups avec son fouet. La mĂšche le cinglait sur ses plaies, et il tombait dans la boue, en poussant un hurlement.

548

Puis les voyageurs de l’ Hirondelle finissaient par s’endormir, les uns la bouche ouverte, les autres le menton baissĂ©, s’appuyant sur l’épaule de leur voisin, ou bien le bras passĂ© dans la courroie, tout en oscillant rĂ©guliĂšrement au branle de la voiture ; et le reflet de la lanterne, qui se balançait en dehors, sur la croupe des limoniers, pĂ©nĂ©trant dans l’intĂ©rieur par les rideaux de calicot chocolat, posait des ombres

sanguinolentes sur tous ces individus immobiles.

Emma, ivre de tristesse, grelottait sous ses vĂȘtements – et se sentait de plus en plus froid aux pieds, avec la mort dans l’ñme.

Charles, Ă  la maison, l’attendait ; l’ Hirondelle Ă©tait toujours en retard le jeudi. Madame arrivait enfin ! Ă  peine si elle embrassait la petite. Le dĂźner n’était pas prĂȘt, n’importe ! elle excusait la cuisiniĂšre. Tout maintenant semblait permis Ă  cette fille.

Souvent son mari, remarquant sa pĂąleur, lui demandait si elle ne se trouvait point malade.

– Non, disait Emma.

Are sens

Copyright 2023-2059 MsgBrains.Com