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Le coin de sa bouche, qui se tenait ouverte, faisait comme un trou noir au bas de son visage ; les deux pouces restaient infléchis dans la paume des mains ; une sorte de poussiÚre blanche lui parsemait les cils, et ses yeux commençaient à disparaßtre dans une pùleur visqueuse qui 672

ressemblait Ă  une toile mince, comme si des araignĂ©es avaient filĂ© dessus. Le drap se creusait depuis ses seins jusqu’à ses genoux, se relevant ensuite Ă  la pointe des orteils ; et il semblait Ă  Charles que des masses infinies, qu’un poids Ă©norme pesait sur elle.

L’horloge de l’église sonna deux heures. On

entendait le gros murmure de la riviÚre qui coulait dans les ténÚbres, au pied de la terrasse.

M. Bournisien, de temps Ă  autre, se mouchait bruyamment, et Homais faisait grincer sa plume sur le papier.

– Allons, mon bon ami, dit-il, retirez-vous, ce spectacle vous dĂ©chire !

Charles une fois parti, le pharmacien et le curé recommencÚrent leurs discussions.

– Lisez Voltaire ! disait l’un ; lisez d’Holbach, lisez l’ EncyclopĂ©die !

– Lisez les Lettres de quelques juifs portugais ! disait l’autre ; lisez la Raison du christianisme, par Nicolas, ancien magistrat !

Ils s’échauffaient, ils Ă©taient rouges, ils 673

parlaient Ă  la fois sans s’écouter ; Bournisien se scandalisait d’une telle audace ; Homais s’émerveillait d’une telle bĂȘtise ; et ils n’étaient pas loin de s’adresser des injures, quand Charles, tout Ă  coup, reparut. Une fascination l’attirait. Il remontait continuellement l’escalier.

Il se posait en face d’elle pour la mieux voir, et il se perdait en cette contemplation, qui n’était plus douloureuse Ă  force d’ĂȘtre profonde.

Il se rappelait des histoires de catalepsie, les miracles du magnĂ©tisme ; et il se disait qu’en le voulant extrĂȘmement, il parviendrait peut-ĂȘtre Ă  la ressusciter. Une fois mĂȘme il se pencha vers elle, et il cria tout bas : « Emma ! Emma ! » Son haleine, fortement poussĂ©e, fit trembler la flamme des cierges contre le mur.

Au petit jour, madame Bovary mĂšre arriva ;

Charles, en l’embrassant, eut un nouveau dĂ©bordement de pleurs.

Elle essaya, comme avait tentĂ© le pharmacien, de lui faire quelques observations sur les dĂ©penses de l’enterrement. Il s’emporta si fort qu’elle se tut, et mĂȘme il la chargea de se rendre 674

immĂ©diatement Ă  la ville pour acheter ce qu’il fallait.

Charles resta seul toute l’aprĂšs-midi : on avait conduit Berthe chez madame Homais ; FĂ©licitĂ© se tenait en haut, dans la chambre, avec la mĂšre Lefrançois.

Le soir, il reçut des visites. Il se levait, vous serrait les mains sans pouvoir parler, puis l’on s’asseyait auprĂšs des autres, qui faisaient devant la cheminĂ©e un grand demi-cercle. La figure basse et le jarret sur le genou, ils dandinaient leur jambe, tout en poussant par intervalles un gros soupir ; et chacun s’ennuyait d’une façon dĂ©mesurĂ©e ; c’était pourtant Ă  qui ne partirait pas.

Homais, quand il revint Ă  neuf heures (on ne voyait que lui sur la Place depuis deux jours), Ă©tait chargĂ© d’une provision de camphre, de benjoin et d’herbes aromatiques. Il portait aussi un vase plein de chlore, pour bannir les miasmes.

À ce moment, la domestique, madame Lefrançois et la mùre Bovary tournaient autour d’Emma, en achevant de l’habiller ; et elles abaissùrent le long voile raide, qui la recouvrit jusqu’à ses souliers 675

de satin.

Félicité sanglotait :

– Ah ! ma pauvre maütresse ! ma pauvre maütresse !

– Regardez-la, disait en soupirant l’aubergiste, comme elle est mignonne encore ! Si l’on ne jurerait pas qu’elle va se lever tout à l’heure.

Puis elles se penchĂšrent pour lui mettre sa couronne.

Mais il fallut soulever un peu la tĂȘte, et alors un flot de liquides noirs sortit, comme un vomissement, de sa bouche.

– Ah ! mon Dieu ! la robe, prenez garde !

s’écria madame Lefrançois. Aidez-nous donc !

disait-elle au pharmacien. Est-ce que vous avez peur, par hasard ?

– Moi, peur ? rĂ©pliqua-t-il en haussant les Ă©paules. Ah bien, oui ! J’en ai vu d’autres Ă  l’HĂŽtel-Dieu, quand j’étudiais la pharmacie !

Nous faisions du punch dans l’amphithĂ©Ăątre aux dissections ! Le nĂ©ant n’épouvante pas un philosophe ; et mĂȘme, je le dis souvent, j’ai 676

l’intention de lĂ©guer mon corps aux hĂŽpitaux, afin de servir plus tard Ă  la science.

En arrivant, le curĂ© demanda comment se portait Monsieur ; et, sur la rĂ©ponse de l’apothicaire, il reprit :

– Le coup, vous comprenez, est encore trop rĂ©cent !

Homais le fĂ©licita de n’ĂȘtre pas exposĂ©, comme tout le monde, Ă  perdre une compagne

chĂ©rie ; d’oĂč s’ensuivit une discussion sur le cĂ©libat des prĂȘtres.

– Car, disait le pharmacien, il n’est pas naturel qu’un homme se passe de femmes ! On a vu des crimes...

– Mais, sabre de bois ! s’écria l’ecclĂ©siastique, comment voulez-vous qu’un individu pris dans le mariage puisse garder, par exemple, le secret de la confession ?

Alors Homais attaqua la confession.

Bournisien la dĂ©fendit ; il s’étendit sur les restitutions qu’elle faisait opĂ©rer. Il cita diffĂ©rentes anecdotes de voleurs devenus 677

honnĂȘtes tout Ă  coup. Des militaires, s’étant approchĂ©s du tribunal de la pĂ©nitence, avaient senti les Ă©cailles leur tomber des yeux. Il y avait Ă  Fribourg un ministre...

Son compagnon dormait. Puis, comme il Ă©touffait un peu dans l’atmosphĂšre trop lourde de la chambre, il ouvrit la fenĂȘtre, ce qui rĂ©veilla le pharmacien.

– Allons, une prise ! lui dit-il. Acceptez, cela dissipe.

Des aboiements continus se traĂźnaient au loin, quelque part.

– Entendez-vous un chien qui hurle ? dit le pharmacien.

– On prĂ©tend qu’ils sentent les morts, rĂ©pondit l’ecclĂ©siastique. C’est comme les abeilles : elles s’envolent de la ruche au dĂ©cĂšs des personnes.

Homais ne releva pas ces prĂ©jugĂ©s, car il s’était rendormi.

M. Bournisien, plus robuste, continua quelque temps Ă  remuer tout bas les lĂšvres ; puis, insensiblement, il baissa le menton, lĂącha son 678

gros livre noir et se mit Ă  ronfler.

Are sens