– Et les vôtres. Johnson ?
– Ceux du docteur, répondit le maître d’équipage.
– À vous de parler. Bell, dit Hatteras.
– Capitaine, répondit le charpentier, nous n’avons pas de famille qui nous attende en Angleterre, c’est vrai, mais enfin le pays, c’est le pays ! ne pensez-vous donc pas au retour ?
– Le retour, reprit le capitaine, se fera aussi bien après la découverte du pôle. Mieux même. Les difficultés ne seront pas accrues, car, en remontant, nous nous éloignons des points les plus froids du globe. Nous avons pour longtemps encore du combustible et des provisions. Rien ne peut donc nous arrêter, et nous serions coupables de ne pas être allés jusqu’au bout.
– Eh bien, répondit Bell, nous sommes tous de votre opinion, capitaine.
– Bien, répondit Hatteras. Je n’ai jamais douté de vous. Nous réussirons, mes amis, et l’Angleterre aura toute la gloire de notre succès.
– Mais il y a un Américain parmi nous, dit Johnson.
Hatteras ne put retenir un geste de colère à cette observation.
– Je le sais, dit-il d’une voix grave.
– Nous ne pouvons l’abandonner ici, reprit le docteur.
– Non ! nous ne le pouvons pas ! répondit machinalement Hatteras.
– Et il viendra certainement !
– Oui ! il viendra ! mais qui commandera ?
– Vous, capitaine.
– Et si vous m’obéissez, vous autres, ce Yankee refusera-t-il d’obéir ?
– Je ne le pense pas, répondit Johnson ; mais enfin s’il ne voulait pas se soumettre à vos ordres ?…
– Ce serait alors une affaire entre lui et moi.
Les trois Anglais se turent en regardant Hatteras. Le docteur reprit la parole.
– Comment voyagerons-nous ? dit-il.
– En suivant la côte autant que possible, répondit Hatteras.
– Mais si nous trouvons la mer libre, comme cela est probable ?
– Eh bien, nous la franchirons.
– De quelle manière ? nous n’avons pas d’embarcation. »
Hatteras ne répondit pas ; il était visiblement embarrassé.
– On pourrait peut-être, dit Bell, construire une chaloupe avec les débris du Porpoise.
– Jamais ! s’écria violemment Hatteras.
– Jamais ! fit Johnson.
Le docteur secouait la tête ; il comprenait la répugnance du capitaine.
– Jamais, reprit ce dernier. Une chaloupe faite avec le bois d’un navire américain serait américaine.
– Mais, capitaine… reprit Johnson.
Le docteur fit signe au vieux maître de ne pas insister en ce moment. Il fallait réserver cette question pour un moment plus opportun : le docteur, tout en comprenant les répugnances d’Hatteras, ne les partageait pas, et il se promit bien de faire revenir son ami sur une décision aussi absolue.
Il parla donc d’autre chose, de la possibilité de remonter la côte directement jusqu’au nord, et de ce point inconnu du globe qu’on appelle le pôle boréal.
Bref, il détourna les côtés dangereux de la conversation, jusqu’au moment où elle se termina brusquement, c’est-à-dire à l’entrée d’Altamont.
Celui-ci n’avait rien à signaler.
La journée finit ainsi, et la nuit se passa tranquillement. Les ours avaient évidemment disparu.
Chapitre 12 LA PRISON DE GLACE
Le lendemain, il fut question d’organiser une chasse, à laquelle devaient prendre part Hatteras, Altamont et le charpentier ; les traces inquiétantes ne s’étaient pas renouvelées, et les ours avaient décidément renoncé à leur projet d’attaque, soit par frayeur de ces ennemis inconnus, soit que rien de nouveau ne leur eût révélé la présence d’êtres animés sous ce massif de neige.
Pendant l’absence des trois chasseurs, le docteur devait pousser jusqu’à l’île Johnson, pour reconnaître l’état des glaces et faire quelques relevés hydrographiques. Le froid se montrait très vif, mais les hiverneurs le supportaient bien ; leur épiderme était fait à ces températures exagérées.
Le maître d’équipage devait rester à Doctor’s-House, en un mot garder la maison.