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- Je me suis planté sur toute la ligne à propos de Caleb. Je le regrette.

- Vous ne vous êtes pas planté. Si j’ai bien compris, c’est votre ténacité qui, au final, a permis à la police de boucler l’enquête. Il y a ce policier qui ne jure que par vous… Perry Gahalowood, c’est son nom, je crois.

- J’ai demandé à mon éditeur de retirer de la vente L’Affaire Harry Quebert.

- Je suis heureux de l’apprendre. Allez-vous en écrire une version corrigée ?

- C’est probable. J’en ignore encore la forme, mais justice sera faite. Je me suis battu pour le nom de Quebert. Je me battrai pour celui de Caleb.

Il eut un sourire.

- Justement, Monsieur Goldman. C’est à ce propos que je souhaitais vous voir.

Je dois vous dire la vérité. Et vous comprendrez pourquoi je ne vous blâme pas d’avoir cru Luther coupable durant quelques mois : j’ai moi-même vécu trente-trois ans avec l’intime conviction que Luther avait tué Nola Kellergan.

- Vraiment ?

- J’en avais la certitude absolue. Ab-so-lue.

- Pourquoi n’en avoir jamais parlé à la police ?

- Je ne voulais pas tuer Luther une deuxième fois.

- Je ne comprends pas ce que vous essayez de me dire, Monsieur Stern.

- Luther avait une obsession pour Nola. Il passait son temps à Aurora, à l’observer…

- Je le sais. Je sais que vous l’aviez surpris à Goose Cove. Vous en aviez parlé avec le sergent Gahalowood.

- Alors je pense que vous sous-estimez l’ampleur de l’obsession de Luther. En ce mois d’août 1975, il passait ses journées à Goose Cove, caché dans la forêt, à épier Harry et Nola, sur la terrasse, sur la plage, partout. Partout ! Il devenait complètement fou, il savait tout d’eux ! Tout ! Il m’en parlait tout le temps. Jour après jour, il me

racontait ce qu’ils avaient fait, ce qu’ils s’étaient dit. Il me racontait toute leur histoire : qu’ils s’étaient rencontrés sur la plage, qu’ils travaillaient à un livre, qu’ils étaient partis toute une semaine ensemble. Il savait tout ! Tout ! Peu à peu, je compris qu’il vivait une histoire d’amour à travers eux. L’amour qu’il ne pourrait pas vivre à cause de son apparence physique repoussante, il le vivait par procuration. Au point que je ne le voyais pas de la journée ! J’en étais réduit à conduire moi-même pour aller à mes rendez-vous !

- Pardonnez-moi de vous interrompre, Monsieur Stern, mais il y a quelque chose qui m’échappe : pourquoi ne pas avoir renvoyé Luther ? Je veux dire, c’est insensé : on a l’impression que c’est vous qui obéissiez à votre employé, lorsqu’il réclamait de pouvoir peindre Nola ou lorsqu’il vous délaissait tout simplement pour passer ses journées à Aurora. Veuillez excuser ma question, mais qu’est-ce qu’il y avait entre vous ? Étiez-vous…

- Amoureux ? Non.

- Mais alors pourquoi cette étrange relation entre vous ? Vous êtes un homme de pouvoir, pas du genre à vous laisser marcher dessus. Et là pourtant…

- Parce que j’avais une dette envers lui. Je… Je… Vous al ez vite comprendre.

Luther était donc obsédé par Harry et Nola et peu à peu, les choses ont dégénéré. Un jour, il est rentré salement amoché. Il m’a dit qu’un flic d’Aurora l’avait tabassé parce qu’il l’avait surpris à rôder, et qu’une serveuse du Clark’s avait même porté plainte contre lui. Cette histoire était en train de tourner à la catastrophe. Je lui ai dit que je ne voulais plus qu’il ail e à Aurora, je lui ai dit que je voulais qu’il prenne des vacances, qu’il s’en ail e quelque temps, chez sa famil e dans le Maine ou n’importe où ailleurs.

Que je paierais tous ses frais…

- Mais il a refusé, dis-je.

- Non seulement il a refusé, mais il m’a demandé de lui prêter une voiture, parce que, selon lui, sa Mustang bleue était trop repérable désormais. J’ai refusé, évidemment, j’ai dit que ça suffisait. Et là, il s’est écrié : « Tu ne comprends pas, Eli’ ! Ils vont partir ! Dans dix jours, ils vont partir ensemble et pour toujours ! Pour toujours ! Ils l’ont décidé sur la plage ! Ils ont décidé de partir le 30 ! Le 30, ils disparaîtront pour toujours. Je voudrais juste pouvoir dire adieu à Nola, ce sont mes derniers jours avec el e. Tu ne peux pas me priver d’elle alors que je sais déjà que je vais la perdre. » J’ai tenu bon. Je l’ai gardé à l’œil. Et puis il y a eu ce foutu 29 août. Ce jour-là, j’ai cherché Luther partout. Il était introuvable. Sa Mustang était pourtant garée à sa place habituel e. Finalement, un de mes employés a craché le morceau et m’a dit que Luther était parti avec une de mes voitures, une Monte Carlo noire. Luther avait dit que j’avais donné mon autorisation, et comme tout le monde savait que je lui passais tout, personne n’a plus posé de questions. Ça m’a rendu fou. Je suis al é immédiatement fouiller sa chambre. Je suis tombé sur ce tableau de Nola qui m’a donné envie de vomir, et puis, caché dans une boîte sous son lit, j’ai trouvé toutes ces lettres… Des lettres qu’il avait volées. Des échanges entre Harry et Nola qu’il était visiblement al é piocher dans les boîtes aux lettres. Alors je l’ai attendu, et quand il est rentré, en fin de journée, nous avons eu une terrible altercation…

Stern se tut et regarda dans le vague.

- Que s’est-il passé ? demandai-je.

- Je… Je voulais qu’il arrête d’aller là-bas, vous comprenez ! Je voulais que cette

obsession à propos de Nola cesse ! Lui ne voulait rien entendre ! Rien ! Il disait que Nola et lui, c’était plus fort que jamais ! Que personne ne pourrait les empêcher d’être ensemble. J’ai perdu les pédales. Nous nous sommes empoignés et je l’ai frappé. Je l’ai attrapé par le col, j’ai crié et je l’ai frappé. Je l’ai traité de péquenaud. Il s’est retrouvé au sol, il a touché son nez en sang. J’étais pétrifié. Et il m’a dit… Il m’a dit…

Stern n’arrivait plus à parler. Il eut un mouvement de dégoût.

- Monsieur Stern, que vous a-t-il dit ? demandai-je pour qu’il ne perde pas le fil de son histoire.

- Il m’a dit : « C’était toi ! » Il a hurlé : « C’était toi ! C’était toi ! » Je suis resté tétanisé. Il s’est enfui, il est allé chercher quelques affaires dans sa chambre et il est parti à bord de la Chevrolet avant que je puisse réagir. Il avait… Il avait reconnu ma voix.

Stern pleurait à présent. Il serrait les poings de rage.

- Il avait reconnu votre voix ? répétai-je. Que voulez-vous dire ?

- Il… Il y a une époque où je retrouvais des vieux copains de Harvard. Une espèce de fraternité débile. On montait dans le Maine pour passer les week-ends : deux jours dans des grands hôtels, à boire, à manger du homard. On aimait se bagarrer, on aimait flanquer des dérouil ées à des pauvres types. On disait que les types du Maine étaient des péquenauds et que notre mission sur terre était de les rosser. Nous n’avions pas trente ans, nous étions des fils de riches, prétentieux. Nous étions un peu racistes, nous étions malheureux, nous étions violents. Nous avions inventé un jeu : le field goal, qui consistait à taper dans la tête de nos victimes comme si nous dégagions un bal on de football. Un jour de l’année 1964, près de Portland, nous étions très excités et très alcoolisés. Nous avons croisé la route d’un jeune type. C’est moi qui conduisais la voiture… Je me suis arrêté et j’ai proposé que nous nous amusions un peu…

- Vous êtes l’agresseur de Caleb ?

Il explosa :

- Oui ! Oui ! Je ne me le suis jamais pardonné ! On s’est réveil és le lendemain dans notre suite d’un hôtel de luxe avec une gueule de bois d’enfer. Les journaux relataient tous l’agression : le garçon était dans le coma. La police nous recherchait activement; nous avions été rebaptisés la bande des field goals. Nous avons décidé de ne plus jamais en parler, d’enfouir cette histoire dans nos mémoires. Mais je me suis laissé hanter : les jours, les mois qui ont suivi, je n’ai plus pensé qu’à ça. J’en étais complètement malade. Je me suis mis à me rendre à Portland, pour savoir ce qu’il advenait de ce gamin qu’on avait martyrisé. Deux années se sont ainsi écoulées, et un jour, n’en pouvant plus, j’ai décidé de lui donner un travail et une chance de s’en sortir.

J’ai feint d’avoir une roue à changer, je lui ai demandé de l’aide et je l’ai engagé comme chauffeur. Je lui ai donné tout ce qu’il voulait… Je lui ai aménagé un atelier de peinture dans la véranda de ma maison, je lui ai donné de l’argent, je lui ai offert une voiture, mais rien de tout cela n’a suffi à apaiser ma culpabilité. Je voulais toujours en faire davantage pour lui ! J’avais brisé sa carrière de peintre, alors j’ai financé toutes les expositions possibles, je le laissais souvent passer des journées entières à peindre. Et puis, il a commencé à dire qu’il se sentait seul, que personne ne voulait de lui. Il disait que la seule chose qu’il pouvait faire avec une femme, c’était la peindre. Il voulait peindre des femmes blondes, il disait que ça lui rappelait sa fiancée de l’époque, avant l’agression. Alors j’ai engagé des cargaisons de prostituées blondes pour poser pour lui.

Mais un jour, à Aurora, il a rencontré Nola. Et il en est tombé amoureux. Il disait que c’était la première fois qu’il aimait de nouveau depuis sa fiancée d’avant. Et puis est arrivé Harry, l’écrivain génial et beau garçon. Celui que Luther aurait voulu être. Et Nola est tombée amoureuse de Harry. Alors Luther a décidé qu’il voulait lui aussi être Harry… Moi, que vouliez-vous que je fasse ? Je lui avais volé sa vie, je lui avais tout pris. Pouvais-je l’empêcher d’aimer ?

- Alors tout ça, c’était pour vous déculpabiliser ?

- Appelez ça comme vous voudrez.

- Le 29 août… Que s’est-il passé ensuite…

- Lorsque Luther a compris que c’était moi qui… il a fait son sac et il s’est enfui avec la Chevrolet noire. Je me suis aussitôt lancé à sa poursuite. Je voulais lui expliquer. Je voulais qu’il me pardonne. Mais impossible de le retrouver. Je l’ai cherché toute la journée et une partie de la nuit. En vain. Je m’en voulais tel ement. J’ai espéré qu’il reviendrait de lui-même. Mais le lendemain, en fin de journée, la radio a annoncé la disparition de Nola Kellergan. Le suspect roulait dans une Chevrolet noire… Pas besoin de vous faire un dessin. J’ai décidé de ne jamais en parler à qui que ce soit, pour que Luther ne soit jamais soupçonné. Ou peut-être parce qu’au fond j’étais aussi coupable que Luther. C’est la raison pour laquel e je n’ai pas supporté que vous veniez faire revivre les fantômes. Mais voilà que finalement, grâce à vous, j’apprends que Luther n’a pas tué Nola. C’était comme si moi non plus, je ne l’avais pas tuée. Vous avez soulagé ma conscience, Monsieur Goldman.

- Et la Mustang ?

- Elle est dans mon garage, sous une bâche. Ça fait trente-trois ans que je la cache dans mon garage.

- Et les lettres.

- Je les ai gardées aussi.

- J’aimerais les voir, s’il vous plaît.

Stern décrocha un tableau du mur et dévoila la porte d’un petit coffre-fort qu’il ouvrit. Il en sortit un carton à chaussures rempli de lettres. C’est ainsi que je découvris toute la correspondance entre Harry et Nola, celle qui avait permis l’écriture des Origines du mal. Je reconnus aussitôt la première : c’était justement celle qui ouvrait le livre. Cette lettre du 5 juil et 1975, cette lettre pleine de tristesse que Nola avait écrite lorsque Harry l’avait rejetée et qu’elle avait appris qu’il avait passé la soirée du 4 juil et avec Jenny Dawn. Ce jour-là, elle avait accroché dans la porte une enveloppe contenant la lettre et deux photos prises à Rockland. L’une représentait la nuée de mouettes du bord de mer. La seconde était un cliché d’eux, ensemble pendant leur pique-nique.

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