"Unleash your creativity and unlock your potential with MsgBrains.Com - the innovative platform for nurturing your intellect." » » 1984 by George Orwell 👀📚

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– N’importe quelles questions ?

– Oui. » Il vit que les yeux de Winston regardaient le cadran. « Il est dĂ©branchĂ©. Quelle est ta premiĂšre question ?

– Qu’avez-vous fait de Julia ? » demanda Winston.

O’Brien sourit à nouveau.

« Elle t’a trahi, Winston. ImmĂ©diatement — totalement. J’ai rarement vu quelqu’un se rendre aussi rapidement. Tu la reconnaĂźtrais Ă  peine si tu la voyais. Toute sa rĂ©volte, sa duplicitĂ©, sa folie, sa licence

— tout a Ă©tĂ© purgĂ© hors d’elle. Une conversion parfaite, un cas d’école.

– Vous l’avez torturĂ©e ? »

O’Brien ne rĂ©pondit pas.

« Question suivante, dit-il.

– Est-ce que Tonton existe ?

– Bien sĂ»r qu’il existe. Le Parti existe. Tonton est l’incarnation du Parti.

– Existe-t-il de la mĂȘme façon que j’existe ?

– Tu n’existes pas », rĂ©pondit O’Brien.

Une fois de plus, la sensation d’impuissance l’assaillit. Il connaissait, ou pouvait imaginer, les arguments qui prouvaient sa non-existence ; mais ils Ă©taient du non-sens, ils jouaient juste sur les mots. L’affirmation « Tu n’existes pas » ne contenait-elle pas une absurditĂ© logique ? Mais quelle utilitĂ© de le dire ? Son esprit se serra en pensant aux arguments imparables et tordus avec lesquels O’Brien le dĂ©truirait.

« Je pense que j’existe, dit-il avec lassitude. Je suis conscient de ma propre identitĂ©. Je suis nĂ©, je mourrai. J’ai des bras et des jambes.

J’occupe un point particulier dans l’espace. Aucun autre objet solide ne peut occuper le mĂȘme point simultanĂ©ment. Dans ce sens, est-ce que Tonton existe ?

– Ça n’a pas d’importance. Il existe.

– Est-ce que Tonton mourra un jour ?

– Bien sĂ»r que non. Comment le pourrait-il ? Question suivante.

– Est-ce que la FraternitĂ© existe ?

– Ça, Winston, tu ne le sauras jamais. Si nous choisissons de te libĂ©rer aprĂšs en avoir fini avec toi, et si tu vis jusqu’à quatre-vingt-dix 265

ans, tu ne sauras jamais si la réponse à cette question est oui ou non.

Tant que tu vivras, ce sera une énigme irrésolue dans ton esprit. »

Winston demeura silencieux. Sa poitrine se levait et s’abaissait un peu plus rapidement. Il n’avait toujours pas posĂ© la question qui lui Ă©tait venue Ă  l’esprit en premier. Il devait la poser, et pourtant c’était comme si sa langue ne voulait pas la prononcer. Il y avait un semblant d’amusement sur le visage d’O’Brien. MĂȘme ses lunettes semblaient luire d’ironie. Il sait, songea soudain Winston, il sait ce que je vais demander ! À cette pensĂ©e, les mots jaillirent hors de lui :

« Qu’est-ce qu’il y a dans la Salle 101 ? »

Le visage d’O’Brien ne changea pas d’expression. Il rĂ©pondit platement :

« Tu sais ce qu’il y a dans la Salle 101, Winston. Tout le monde sait ce qu’il y a dans la Salle 101. »

Il leva un doigt Ă  destination de l’homme en blouse blanche. La session Ă©tait apparemment terminĂ©e. Une aiguille s’enfonça dans le bras de Winston. Il sombra presque immĂ©diatement dans un sommeil profond.

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C h a p i t r e I I I

« Il y a trois phases Ă  ta rĂ©intĂ©gration, dit O’Brien. Il y a l’ap-prentissage, la comprĂ©hension, et l’acceptation. Il est temps pour toi de t’engager dans la deuxiĂšme phase. »

Comme d’habitude, Winston Ă©tait allongĂ© sur le dos. Ces derniers temps, cependant, ses entraves Ă©taient plus lĂąches. Elles l’attachaient toujours au lit, mais il pouvait lĂ©gĂšrement bouger ses genoux, tourner sa tĂȘte d’un cĂŽtĂ© Ă  l’autre et soulever ses Ă©paules. Le cadran, aussi, Ă©tait devenu une moindre source de terreur. Il pouvait Ă©viter ses attaques s’il Ă©tait assez vif d’esprit : O’Brien n’actionnait principalement plus le levier que quand il faisait preuve de stupiditĂ©. Parfois, ils traversaient une session entiĂšre sans y avoir recours. Il ne se souvenait pas combien de sessions il y avait eu. Tout le processus semblait s’étirer sur un temps long et indĂ©fini — des semaines, possiblement

— et les intervalles entre chaque session pouvaient parfois avoir Ă©tĂ© de quelques jours, parfois de seulement une heure ou deux.

« AllongĂ© ici, dit O’Brien, tu t’es souvent demandĂ© — tu m’as mĂȘme questionnĂ© Ă  ce sujet — pourquoi le ministĂšre de l’Amour devrait dĂ©penser autant de temps et d’énergie pour toi. Et quand tu Ă©tais libre, ce qui Ă©tait essentiellement la mĂȘme question te rendait perplexe. Tu pouvais comprendre les mĂ©canismes de la sociĂ©tĂ© dans laquelle tu vivais, mais pas ses motivations sous-jacentes. Te souviens-tu Ă©crire dans ton journal : “Je comprends comment : je ne comprends pas pourquoi” ? C’est quand tu t’es demandĂ© pourquoi que tu as doutĂ© de ta propre raison. Tu as lu le livre, le livre de Goldstein, au moins en partie. T’a-t-il appris quelque chose que tu ne savais pas dĂ©jĂ  ?

– Tu l’as lu ? demanda Winston.

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– Je l’ai Ă©crit. Du moins, j’ai collaborĂ© Ă  son Ă©criture. Aucun livre n’est produit individuellement, comme tu le sais.

– C’est vrai, ce qu’il dit ?

– En tant que description, oui. Le programme qu’il avance est un non-sens. L’accumulation secrĂšte de la connaissance ; une diffusion progressive de la luciditĂ© ; pour finir par une rĂ©bellion prolĂ©tarienne ; et le renversement du Parti. Tu avais toi-mĂȘme prĂ©dit ce qu’il dirait.

C’est un non-sens total. Les prolĂ©tariens ne se rĂ©volteront jamais, ni dans mille ans, ni dans un million. Ils ne peuvent pas. Je n’ai pas besoin de te donner la raison : tu la connais dĂ©jĂ . Si tu avais caressĂ© l’espoir d’une insurrection violente, abandonne-le. Le Parti ne pourra jamais ĂȘtre renversĂ©. La domination du Parti est Ă©ternelle. Fais de ceci le point de dĂ©part de tes pensĂ©es. »

Il s’approcha du lit.

« Éternelle ! rĂ©pĂ©ta-t-il. Et maintenant revenons Ă  la question de “comment” et “pourquoi”. Tu comprends assez bien comment le Parti se maintient au pouvoir. Maintenant, dis-moi pourquoi nous nous accrochons au pouvoir. Quelle est notre motivation ? Pourquoi voudrions-nous du pouvoir ? Vas-y, parle », ajouta-t-il alors que Winston demeurait silencieux.

NĂ©anmoins, Winston ne parla pas pendant quelques instants. Un sentiment de lassitude l’avait envahi. La lĂ©gĂšre lueur d’enthousiasme fanatique Ă©tait revenue sur le visage d’O’Brien. Il savait d’avance ce que Winston dirait. Que le Parti ne cherchait pas le pouvoir pour ses propres fins, mais uniquement pour le bien de la majoritĂ©. Que le Parti cherchait le pouvoir parce que la masse des humains n’était que de frĂȘles et lĂąches crĂ©atures qui ne pouvaient pas supporter la libertĂ© ou affronter la vĂ©ritĂ©, et devaient ĂȘtre dirigĂ©es et systĂ©matiquement trompĂ©es par d’autres plus fortes qu’elles. Que le choix pour l’humanitĂ© Ă©tait entre la libertĂ© et le bonheur, et que, pour la grande majoritĂ© de l’humanitĂ©, le bonheur Ă©tait mieux. Que le Parti Ă©tait le gardien Ă©ternel des faibles, une secte dĂ©vouĂ©e qui faisait le mal pour que le bien vĂźnt, sacrifiant son propre bonheur pour celui des autres. Le plus terrible, pensa Winston, le plus terrible Ă©tait que quand O’Brien dirait cela, il le croirait. Vous pouviez le voir sur son 268

visage. O’Brien savait tout. Mille fois mieux que Winston, il savait comment Ă©tait rĂ©ellement le monde, dans quel avilissement vivait la masse des humains et grĂące Ă  quels mensonges et atrocitĂ©s le Parti les y maintenait. Il avait tout compris, tout pesĂ©, et ça ne faisait aucune diffĂ©rence : tout Ă©tait justifiĂ© par l’objectif ultime. Que pouviez-vous faire, songea Winston, contre le fou qui est plus intelligent que vous, qui Ă©coute attentivement vos arguments pour seulement persister dans sa folie ?

« Vous nous dominez pour notre propre bien, dit-il faiblement.

Vous croyez que les ĂȘtres humains ne sont pas capables de se gouverner eux-mĂȘmes, alors. . . »

Il s’arrĂȘta et poussa presque un cri. Une explosion de douleur avait traversĂ© son corps. O’Brien avait poussĂ© le levier Ă  trente-cinq.

« C’était stupide, Winston, stupide ! Ne t’abaisse pas Ă  dire ce genre de choses. »

Il tira le levier et poursuivit :

« Je vais te donner la rĂ©ponse Ă  ma question : le Parti cherche le pouvoir entiĂšrement pour lui-mĂȘme. Nous ne nous intĂ©ressons pas au bien des autres ; nous nous intĂ©ressons uniquement au pouvoir. Pas le luxe ou la richesse, la vie longue ou le bonheur : juste le pouvoir, le pouvoir pur. Tu vas maintenant comprendre ce que signifie le pouvoir pur. Nous sommes diffĂ©rents de toutes les oligarchies du passĂ©, en cela que nous savons ce que nous faisons. Toutes les autres, mĂȘme celles qui nous ressemblaient, Ă©taient lĂąches et hypocrites. Les Nazis allemands et les Communistes russes Ă©taient trĂšs proches de nous dans leurs mĂ©thodes, mais ils n’ont jamais eu le courage d’admettre leurs propres motivations. Ils prĂ©tendaient, peut-ĂȘtre mĂȘme avec sincĂ©ritĂ©, qu’ils avaient pris le pouvoir Ă  contrecƓur et pour un temps limitĂ©, et qu’au coin de la rue se trouverait un paradis oĂč les ĂȘtres humains seraient libres et Ă©gaux. Nous ne sommes pas comme ça. Nous savons que personne ne prend le pouvoir avec l’intention de le rendre. Le pouvoir n’est pas un moyen, c’est une fin. On n’instaure pas une dictature pour sauvegarder une rĂ©volution ; on fait une rĂ©volution pour instaurer une dictature. Le but de la persĂ©cution est la persĂ©cution. Le but de la torture est la torture. Le but du pouvoir est le pouvoir. Commences-tu 269

Are sens